#anthologie #05 | latitude

Elle a cette façon de porter son corps devant elle. Une manière particulière de parler en tournant une cuillère dans une tasse de thé. Présente à ce qu’elle regarde, le clair liquide encore fumant, une vague creusée par la cuillère, et d’autres choses que seuls ses yeux semblent voir. Son corps devenu transparent, elle est diaphane, le bleu de ses paupières souligne ses yeux d’un reflet de fatigue. L’hiver n’en finit pas, des semaines de pluie, le froid, la grisaille, elle n’a plus de force, son corps devant elle, elle vit au ralenti, mange des coquillettes, boit du thé, dort peu la nuit et se traîne le jour. Son corps devant elle, elle s’y prend les pieds, sa vie trébuche comme à chaque fin d’hiver, le manque de soleil la ronge. Sa pâleur se perd dans son vêtement d’intérieur, une robe de chambre sans couleur, ses yeux exprimant une tristesse presque un effroi. Elle doit partir, changer d’air, elle en manque, elle ne respire plus, elle reste assise longtemps, les mains à l’abandon, les doigts à l’ennui. Le manque de soleil, le manque de couleur, ses obsessions reviennent en boucle, partir, prendre en vrac quelques affaires, filer au petit matin, en quelques heures quitter un nouvel hiver sinistre, s’échapper, rejoindre un pays de soleil, devancer la saison. Elle boit une gorgée de thé, dans le vague elle pense au départ, elle doit d’abord se remettre sur pied, récupérer un peu de son corps, enfiler son apparence de jeune femme à l’aise et téméraire, partir seule ou avec une amie de voyage et choisir un pays de soleil. Un remède au mal qui la déglingue. Manque d’appétit, manque de sommeil, manque de confiance, manque d’amour, manque d’énergie, manque d’allant, manque de désir. Le soleil peut la guérir. La prescription est simple. Quelques pas au dehors et partir. Le bonheur tient à bien peu de choses, un peu de corps dirigé et une destination.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

6 commentaires à propos de “#anthologie #05 | latitude”

  1. J’aime « Son corps devant elle, elle s’y prend les pieds, sa vie trébuche comme à chaque fin d’hiver, le manque de soleil la ronge. » Merci Catherine

    • Merci Gilda,
      Les images Corps / Soleil vont ponctuer cette série. Et chaque proposition en apporte de nouvelles.

    • Merci Piero,
      Exactement, comme pour les images Soleil/Corps, faire se côtoyer le tragique et la force vive sera une ligne de la série.

  2. Tragique, oui, surtout dans la façon dont elle y croit encore. Y croit-elle vraiment ? Quel beau texte, Catherine !

  3. « Son corps devant elle, elle s’y prend les pieds, » s’y prendre comme tomber s’y prendre comme aller … ( Mélisande avant de mourir : je n’aime pas l’hiver » ) Merci