#anthologie #05 / La mère

#05 / La mère

J’ai ma carcasse qui me précède. J’ai un tas d’os dans une valise et je me promène. J’ai dans ma valise mon squelette. Ma valise et moi sommes complices dans ce crime de mon être imparfait. Toute d’os vêtue, je me promène avec ma valise en laisse contenant mon squelette et trois blue-jeans les uns dans les autres. Les trois blue-jeans se tiennent chaud, les jambes droites avec les jambes droites, les jambes gauches avec les jambes gauches. Je porte mon corps devant moi. Je porte mon corps comme on porte trois blue-jeans les uns par-dessus les autres. C’est-à-dire que je porte ce corps à bras le corps, comme un étendard disant : attention, ici mon corps avance devant moi. Mon corps maigre et fragile se balance de gauche à droite et de droite à gauche dans un rythme de fête foraine. J’ai, par Dame Nature, bénéficié d’un troisième sein que je montre avec ostentation. Moi et mes trois tétons, nous avançons. Je suis une et je suis multiple. Je me multiplie à l’envie. Mes trois seins sont en voyage à deux pas de moi, qui suis en voyage également. Je porte devant moi ces trois seins sur un plateau, telle une sainte. Je les porte comme on accroche des exvotos dans les chapelles de l’île du vide, appelée Sifnos. Je suis sur cette île avec ma valise que j’ouvre alors puisqu’arrivée à destination. J’en sors mon squelette, mes blue-jeans, mes trois seins et une longue veste en cuir noire à lanières nouées, chacune autour d’une perle colorée. J’en sors aussi une coiffe de longs cheveux noirs ornés d’une frange courte. Et je me mets à porter tout cela devant moi. Mon squelette et moi, dansons sous la chaleur d’Août qui embaume jusqu’aux souvenirs, vidés de leurs substances comme par une sorte de magie qui provient de cette île en cet endroit volcanique. Je porte mon corps devant moi. Je le dépose devant une chapelle. J’accroche mes trois seins sur la porte pour remercier ce don qui m’a été donner d’enfanter de ce petit monstre vif et alerte à la tétée, vif et alerte à dire non, vif et alerte à se repaître de ma chair pour pousser comme un chiendent. Je dépose devant la porte, mon squelette engoncé dans ses trois blue-jeans, puis je jette la valise dans un ravin, près des carcasses de voitures.
L’enfant petit monstre porte lui aussi son corps de glouton devant lui. Il fait rouler sa bedaine comme Sisyphe fait rouler son rocher. Il fait rouler, rouler, rouler devant lui son ventre pneu de petit homme Michelin. Mon corps à moi est resté près de la chapelle, où à présent mes trois seins guident les voyageurs égarés. Et je regarde cet enfant mien, chair de mon peu de chair, dévaler les pentes avec allégresse et jouant au bâton, à faire tourner son ventre en roue libre dans les Grecques vallées.


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