#anthologie #05 | jeune homme

Vous étiez comme moi j’ai été : jeune homme devant la vie qui nous restait. Je n’avais aucune idée de ce que ça allait être, vous vous en aviez une, vous avez su ce soir-là ce matin-là que ce serait un vide incommensurable une douleur prévisible. je suis ici vous n’y êtes plus, jeunes hommes depuis votre geste depuis la mise en danger définitive de votre corps je ne cesse de vous imaginer vous qui auriez pu être jeunes. Vous n’avez pas dit je souffre trop je vais lancer un appel au secours mais plutôt ça ne va jamais changer j’y mets radicalement fin. ce corps beau leste la coiffure de cette chevelure que j’invente chaque jour, ces mains qui dessinent qui animent, ces mains qui apprennent à pâtisser à monter une crème ces mains d’apprenti ce visage dont je ne savais même pas qu’il était beau ou si je le savais je ne savais pas quoi en faire, ce corps je vais l’utiliser pour mettre fin à ce vide sans fin je vais l’écrabouiller il n’en restera que bouillie que personne ne pourra regarder sans pleurer que personne n’aura même droit de regarder. Depuis ma naissance j’ai passé tant de temps à supplier le monde de m’accueillir j’ai senti l’amour j’ai été si choyé il manque si peu pour que je pense que vivre est une évidence que quoi qu’il arrive je suis mieux vivant que mort que vivre c’est plus un pas à pas réussite échec espoir de demain mur de parpaings qu’un long fleuve, tranquille ou pas. Je ne sais pas l’importance de mes apprentissages du monde ni la pertinence de mes tentatives d’approche, je les sens minuscules, il continuera sans moi le monde, je ne lui suis pas plus important que ne m’est importante la couleur des pétales qui tombent des roses fanées. Je laisse ici des parents des amis qui pleureront qui se demanderont longtemps ce que moi même je ne sais pas, qui ne me verront plus jeune qui ne me verront pas adulte. C’est injuste cette torture sans fin, la vision de moi à dix centimètres du sol et rien rien qui puisse arrêter ma décision.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.