Je balance mon corps vers l’avant, je le porte, il pèse, il résiste. « Espèce de bourrique, tu vas avancer ! ». Il refuse, se cabre, rue dans les brancards. C’est mon corps mais il se déconnecte parfois de mon cerveau sans que je n’y puisse rien. Depuis quelques années il a pris du poil de la bête. Quand je pense qu’avant c’était : « Je pense donc tu suis » (du verbe suivre, surtout pas être). Aujourd’hui mon corps refuse d’obéir. J’ai beau le menacer, le frapper, il braie comme un âne, répète qu’il n’ira pas plus loin, qu’il s’est trompé de vie, d’époque, de chemin, qu’au bout de la route il n’y a rien, que même mes yeux si souvent aveugles peuvent en témoigner. Et voilà mon cerveau qui se rallie à lui, tout se brouille, impossible de penser clairement si bien qu’ils finissent tous deux par me convaincre. Je pars me réfugier à l’abri de mon corps en compagnie de ma langue usée d’avoir prononcé tous ces mots inutiles, d’avoir parlé quand elle aurait du se taire et de n’avoir pas dit ce qu’il fallait quand il fallait le faire. Ma main droite nous rejoint suivie de la gauche, elles qui n’ont pas toujours su ouvrir ou fermer les bonnes portes et mon cœur affolé refuse de rester exposé seul plus longtemps, il bat la breloque, s’emballe si bien que je le rapatrie vite fait à l’arrière. Quant à mes pieds ils trébuchent et proclament que plus jamais ils n’accepteront de tourner en rond comme ils l’ont fait si souvent. Même mon ventre noué abdique et tout le moi que je portais vaillamment comme un étendard se réfugie dans mon dos appuyant sur la colonne vertébrale qui fléchit. Je m’enroule sur moi-même comme un escargot. Ma mémoire ressasse ce poème appris enfant : «sans ami, comme sans famille, ici bas vivre à l’étranger, se retirer dans sa coquille, au signal du moindre danger ». Mon être replié tourne le dos au désastre. Mais ma conscience hurle dans le silence : « Ça suffit ! Debout là-dedans ! » Mes oreilles l’entendent. Mon sourire aussi, il s’ouvre, s’étire et c’est peut être le début de quelque chose où toutes les parties de moi, unifiées, pacifiées marcheraient de concert vers un avenir possible. Je reconnecte corps et cerveau,j’avance. Un doute persiste au creux de l’estomac.
C’est beau ce corps et cet esprit qui se reconnectent.
Merci Élise