# Anthologie #05 Fin de carrière

« Sortez de mon cabinet ! » ai-je lancé au dernier patient mécontent de ne rien voir sur mon visage en déversant sur moi ses chimères. Paroxysme de ma condition d’aider autrui, aidez-moi maintenant bon dieu ! Non aidez-moi pas ! Personne ne me touche plus. Ne me touche ni le visage ni la main. C’est hors de propos. Aucun malade qui me touche l’âme. Venez à moi celles et ceux capables d’outrage ou de poésie, que quelqu’un me fasse pleurer, m’émeuve ! Ressentir, sentir à nouveau même si je connais tous des odeurs. Que mon nez tressaille, recevoir moi aussi un électrochoc !

Mon corps replié sur un fauteuil, toujours assis, jamais debout devant les autres. Mes oreilles, oui seule présence à l’autre mes oreilles et encore, faudrait les relier à ma tête ! Mon cerveau de lémurien, de médecin psychiatre en fin de carrière, moi Docteur Duchemin, j’entends maintenant toutes les paroles des patients s’entrechoquer, Mes hémisphères recouvrent plus de la moitié de la face supérieure de mon cervelet, j’essaie de le tordre comme une serpillère, mais il reste dans mes mains, il en devient le prolongement. Une symphonie, un orchestre de casseroles.  Chimie cérébrale qui m’échappe, et pourtant.

J’aurais pu la sauver la gentille demoiselle, mais c’est son impasse, moi je m’appelle Docteur Duchemin. Je prierais devant les tombes désertes et les fleurs qui poussent pour que tous m’oublient, qu’ils oublient que je ne répondais pas à leurs chagrins, oui laisser venir, laisser couler les rivières, pleurer ça fait du bien, ça peut déborder par la fenêtre. Je m’étonnerais toujours d’exercer encore. Quelle gymnastique ! Mais quel entrain ! Je ressasse,  je rêvasse, je traînasse, mes pieds endoloris dans du cuir trop neuf. Ou alors se mettre en chaussette, recevoir debout, prendre une douche à deux et puis faire valser les arrêts maladie, les mettre au feu, jeu de petits soldats à l’autre bout du bureau, au bout du rouleau, jeux d’enfants, je moi le bourreau, les faire rire les faux-fous, les porter, les ramener à la porte dans un traîneau avec des guirlandes, et moi laissez moi sortir, loin de vous, hors de moi, déréglez l’horloge, ne facturez plus !

Frictions, frisson de honte, jouissance, interdit qui dit oui, j’ai perdu tous mes patients, mais j’en finirai jamais. De vous à moi, je vous le dis, je souffrirais jamais comme eux, faut pas croire aux faux pas. Cervelle d’agneau mes petits, rajoutez du citron une noix de beurre et tous à table !

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