#anthologie #04 Où habitez-vous ?

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Habiter à, habiter sur… Il m’agace, tous m’agacent, tous ceux qui habitent sur Paris, Marseille, Nantes, ou Coulanges la Vineuse. Dans quelle position le corps qui habite sur ? Assis, couché, sur la pointe des pieds, en lévitation ou méditation transcendantale, là aussi je m’y perds.

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J’ai habité quelque temps sur la butte ; la Butte Montmartre, je veux dire. Un sixième sous les toits, pas d’ascenseur, chiottes sur le palier, monter avec les effluves, sentir leur concentration au fil des étages, ne pas oublier la moitié des courses avant l’arrivée au paradis, un aller-retour, bon pour le jogger cherchant la plus haute marche du podium.

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De la fenêtre de mon sixième, j’habitais les sommets, je conversais avec la sacrée pâtisserie bizanto-kitcho-phallique, d’égal à égal(e). Elle qui habite sur Paris, croit régner sur une ville à ses pieds âge-nouillée.

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De la fenêtre de mon sixième sous toits, j’observais les bicoques à la va-vite dressées dans la cour où habitaient des immigrés serrés dans des décimètres carrés. Six(bi)coques, deux fois trois en vis-à-vis, séparées par le passage où se glissent des ombres fugaces.

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En hiver, par de vagues tuyaux de cheminées, les fumées des chauffages tous combustibles montent jusqu’à ma fenêtre ; en me penchant, j’aperçois les disques incandescents marquant la surface de la cour, je sais que vivent là des hommes, je devine les foyers chauffant leurs foyers.

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Baraques aux angles droits, blessent le regard, cachées des rues passantes par un bloc d’immeubles, retranchées, camp retranché urbain inconnu des administrations, du fisc et des permis de construire. Comment franchir le seuil, où est le seuil, y-a-t-il un seuil où je ne vois qu’un bistrot dont la porte du fond ouvre sur des toilettes…

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Entrer dans un bar sans commodités, une ardoise indiquant au passant « les toilettes sont au fond de la cour », dont un édicule (quel mot !) abrite, le lieu à quitter au plus vite.

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Chez ma grand-mère, habiter sur les « cabinets du jardin ». Quelques planches au-dessus d’un simple trou, un seau de copeaux en guise de chasse d’eau, des demi-feuilles de journaux pendues à un crochet. Cloués aux parois chaulées, des chromos peints sur des éclats de sapin, oublié les motifs, non les couleurs ; vus parfois dans des brocantes.

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Des vignes entourent le village, en cas d’averses, des baraques de pierres sèches abritent sommairement. Cadoles, ou loges, ressemblent aux bories du Vaucluse pour le matériau et l’absence de mortier. Construites en spirale, en coquille d’escargot, évoquent les nombreux fossiles de cette terre riche en. La spirale monte, rétrécit en cône telle une glace italienne posée sur son cornet. Un trou avec linteau ménage une entrée, parfois prolongée par un petit tunnel. Igloo de pierre, elle en affiche la blancheur.

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Le village blanchit d’année en année. Souvent enduites de ciment gris soumis aux intempéries, les maisons sont tristes ; la mode du joint en creux, apparent, en mortier  bâtard à base de chaux blanche leur donne un air de jeunesse. Le village se couvre d’échafaudages, la poussière vole aux yeux des passants, des chefs d’œuvre architecturaux apparaissent là où le regard ne voyait que du… bleu. Boboïsation des campagnes, le champagne finance, son marché florissant permet de rester habiter au pays.

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(Un dernier pour la route, on peut s’en passer)

« Du palais d’un jeune lapin

Dame belette un beau matin

S’empara, c’est une rusée »

Un peu plus loin, il est question des « pénates » de la dame au nez pointu. Il me plaît d’apprendre (mythologie) qu’il s’agit là des dieux du « garde-manger ». Habiter, habiter le lieu où l’on mange, manger dans la rue, comble de l’horreur !

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