HABITER
1
Dedans. Dehors. De barrière ou de porte. Question de frontière. Une porte, ça s’ouvre et ça se ferme. Entre le dedans et le dehors. Un sas entre deux, mi-dedans, mi-dehors. Pas encore tout-à-fait dedans, déjà un peu dehors.
2
J’habite à Saint-Gravé. Au lieu-dit Le Beauchat. Je sais que j’habite là, il suffit que je donne mon adresse, on me trouvera. J’habite là.
3
Elle me dit qu’elle se sent parfois à l’étroit dans son enveloppe. Trop serrée dans sa coquille. Sans ouverture urgente des orifices, elle craint de mourir asphyxiée à l’intérieur.
4
Ici et là. Si j’habite sans cesse ici et là, je ne peux jamais tracer au sol le cercle de craie dans lequel je suis chez moi, dans mon pays, mon village, ma maison. Si j’habite ici et là, j’habite toujours dans l’intersection de cercles, ni tout à fait dans l’un, ni tout à fait dans l’autre.
5
Au premier étage de la maison de Belleville, au fond du couloir, une porte fenêtre s’ouvrait sur un tout petit balcon permettant à une seule personne de se tenir debout. Deux colonnes en béton soutenaient cette excroissance de la maison à l’étage, tout en formant une sorte de sas d’entrée ouvert au rez-de-chaussée. Je comprends seulement aujourd’hui en écrivant ces lignes que le petit balcon représentait pour moi, enfant, bien plus qu’un simple balcon. Lorsque je m’y réfugiais en prenant bien soin de refermer la porte fenêtre, je n’étais plus tout à fait dans la maison mais pas encore tout à fait au dehors d’elle.
6
Espaces (in)habités.
7
Tant que le cordon ombilical n’ aura pas été réellement coupé. Tant que la langue maternelle n’aura pas marqué le nouvel être de son empreinte indélébile.
8
L’igloo, quelle drôle de maison, du moins, telle que je l’imagine, le chaud des corps serrés les uns contre les autres sur les bancs faits de neige, les corps emmitouflés formant un cercle parfait sous le dôme glacé, la lampe à pétrole, les bougies, la chaleur du souffle, et l’éternel recommencement de la fusion et du regel.
9
Au pied du mur qui sépare le dedans et le dehors de la Cité, on se laisse porter par la foule dont la compacité prend la forme d’une barre horizontale, exactement parallèle au mur vertical du Vatican, courant jusqu’à l’entrée de la célèbre place. Entre deux commentaires oisifs sur les beautés de la Ville éternelle, on évitera de voir, sur sa droite, au pied du mur, l’image floue d’une très vieille dame mendiant sous le soleil matinal de Rome et un peu plus loin, le regard brûlant d’une jeune femme poussant un caddie plein de fripes. Plus loin encore, on apercevra, sans le vouloir, une première tente déchirée, puis d’autres tentes serrées les unes contre les autres, on verra des pieds nus sortir des tentes, des dos, des chevelures, des sacs bourrés de couvertures, des enfants encore endormis sur leur carton, des bouts de poupées cassées, des gamelles et des réchauds, des tas de chiffons multicolores, de vieux parapluies désarticulés. Il ne tardera pas à faire très chaud.
10
Nous n’habiterons plus nulle part. Ni dedans ni dehors.