#anthologie #04 | ne pas habiter mais se nicher

Ma mère savait habiter, même quand ça a été, parfois, pour courte durée et petitement —  même si le cadre était un peu ingrat au départ elle créait son monde personnel et accueillant.

Dans notre adolescence toulonnaise, dans le dernier des appartements, boulevard Michelet, au dessus de la dégringolade vers la rade,  c’était, malgré sa taille qui en faisait certainement le plus petit de ceux dont nous disposions le point de ralliement de notre bande pour des dîners improvisés quand elle n’était pas là.

Mes soeurs ont hérité de son talent pour habiter, pour créer un cadre qui leur ressemble, un monde qui est leur et s’ouvre aux autres.

Dans la maison de A, qui avant que l’âge nous rattrape était quasiment toujours pleine d’enfants, de petits enfants, d’amis, la vie même en période d’effervescence, de discussions, de fêtes, d’allers et venues, de presse ou de douleurs, de drames, de tristesse, qui ne lui ont pas manqué, se déroule sur un socle harmonieux, avec des petites touches de beauté, des instants de communion. 

Je n’ai jamais su habiter.

J’aborde un nouveau logement avec un espoir mêlé de crainte et du projet d’en faire un écrin de calme accueillant.

J’en fait rapidement un antre, qui m’entoure comme le coeur de l’oignon s’entoure de pelures, je me blottit au sein de ce qui devient un univers personnel, pas excessivement pratique et fort peu rangé où les objets se cachent ou me font la guerre.

A vrai dire pendant des années je n’ai pas habité chez moi, juste dormi et entreposé.

J’ai aimé mon premier logement indépendant, après une période chambre de bonne avec eau sur le palier et sans chauffage, pour son emplacement, dans le bas de la rue de Sévigné, juste avant la Marquise, pour sa laideur presque comique, mes projets, le monde que je côtoyais et malgré l’escalier sans mur sur les marches duquel l’eau s’échappant de toilettes communes aux logements qui n’en avaient pas encore gelait en hiver. 

J’ai aimé certaines chambres d’hôtel où j’arrivais, avec un châle chinois, quelques livres, deux ou trois photos et un carnet à me créer un chez-moi pour une dizaine de jours.

J’ai beaucoup aimé des maisons qui s’ouvraient à moi pour quelque temps.

Mais suis vouée aux antres refermés sur moi, au cocon. N’ai pas la générosité, le courage, la constance et le calme intérieur nécessaires pour habiter.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

10 commentaires à propos de “#anthologie #04 | ne pas habiter mais se nicher”

  1. jamais je n’aurais cru – pas certain de le croire ! :  » N’ai pas la générosité, le courage, la constance et le calme intérieur nécessaires pour habiter. » mais c’est tout intérieur effectivement habiter.

  2. aborder un nouveau lieu avec la crainte de ne pas savoir l’habiter…
    merci pour tes explorations
    (il aurait fallu bien plus de temps pour explorer cette notion d’habiter, si diverse et riche, l’impression d’avoir à peine effleuré !)

  3. « J’en fait rapidement un antre, qui m’entoure comme le coeur de l’oignon s’entoure de pelures, je me blottit au sein de ce qui devient un univers personnel, pas excessivement pratique et fort peu rangé où les objets se cachent ou me font la guerre. » Moi c’est pareil. Merci Brigitte.

  4. oh merci à vous !
    confuse suis d’autant plus avec mon petit, programme (qui va se remplir encore nettement… mais ce n’est plus conforme à pette vieille) je ne puis vous lire… peut être en fin, fin de journée.

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