#anthologie #04 | maisons

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« Beauté et vérité, mais ces hautes vagues
Sur ces cris qui s’obstinent. Comment garder
Audible l’espérance dans le tumulte,
Comment faire pour que vieillir, ce soit renaître,
Pour que la maison s’ouvre, de l’intérieur, 
Pour que ce ne soit pas que la mort qui pousse
Dehors celui qui demandait un lieu natal? »
(Yves Bonnefoy, Les planches courbes)  

Après le déjeuner, avant de repartir travailler, ouvrir la Maison natale, et sans comprendre pourquoi, sans s’y attendre, sans l’avoir vu venir, se retrouver en pleurs. Aussi brusquement, aussi violemment, que renversé par la voiture qu’on n’a pas vu venir, qui nous fracasse contre le sol, nous traîne contre le bitume. Je m’éveillais, c’était la maison natale,

2
Se construire un nid pour dormir. Dessiner un cercle. Un ovale plutôt. Mais un espace fermé. Un traversin, continué de peluches. En avoir suffisamment pour fermer le cercle ou ovale protecteur. Les démons de la nuit, ceux qui tuent durant le sommeil, ainsi tenus à distance. Un drap en guise de toit, une lampe de poche, un livre, et j’avais ma maison. Celle qui ouvre sur son monde. Celle qui permet d’habiter son monde. 


Habiter une maison que d’autres ont habitée. Pas une maison neuve, surgie de rien. Une maison où ont vécu, se sont aimées, sont mortes des personnes. Combien? Combien de familles ont vécu là. Acheter la maison. En être propriétaire. Savoir que ce paysage, cette lumière, ce sol, ont été le leur autant que le nôtre. Que d’autres viendront. Habiter le lieu. Le lieu qui nous préexiste. Habiter la maison. La maison qui nous préexiste. La maison habitée. Comment peut-on habiter un lieu qui n’en est pas un? Habiter la maison. Comme un complément. On habite quelque chose. Plus complément d’objet que de lieu. La maison est là. Dans sa permanence. Des hommes vont, viennent, l’habitent, y vivent. La maison est là. Les hommes partent, déménagent, meurent. La maison reste. Elle est celle qu’on habite. Elle est l’hôte qui nous nous reçoit. Nous accueille. Hôte chaleureuse. Qu’il est tant facile d’aimer. 

4
Un dimanche d’adolescence. Un hameau. La maison d’amis. Dans la conversation, il n’est question que d’une autre maison. Celle des cousins. Les amis en ont la clefs. Avoir la clef et craindre toutefois d’être surpris par les propriétaires. Une visite  à la dérobée. Des murs en pierre, des poutres au plafond, des draps brodés aux fenêtres. On repart comme des voleurs. Le soir on retrouve nos maisons neuves de lotissement. (Savoir désormais que l’on peut vivre autrement. Quand on sera grand on habitera une maison comme celle des cousins.)

5
Elle ne sait plus où elle habite. Depuis que veuve, sa tête s’en est allée. Alors elle erre. Elle erre dans la ville. Elle n’erre pas vraiment. Tous les jours, c’est sur sa tombe qu’elle va. Il est sa boussole. 


Elle n’a jamais été propriétaire, n’a jamais habité que des appartements vétustes. Elle a plus de soixante ans quand elle s’installe dans un appartement avec toilettes et salle d’eau. Plus tard viendra la résidence aménagée. Reste son lit, son armoire, quelques meubles siens. Dit-elle encore chez moi, pour parler de cet endroit? Elle est à l’hôpital, c’est bientôt la fin. On vide l’appartement. Inutile de payer le mois suivant. Elle est devenue sans domicile fixe. Elle ne le sait pas. Deux jours plus tard, ça n’a plus d’importance. 

7
Habiter ensemble une nouvelle fois. Isolés du monde. Confinés. Comme sur un bateau. Comme sur une île. 

8
Habiter un lit. Un lit vaisseau. Carnets, livres, ordinateur avec soi. Et être là chez soi.
 
9
Savoir qu’on ne voudrait pas habiter dans une ville. Être oppressé par le monde.  Se dire qu’on pourrait s’en tenir à une chambre, à un lit, pour se retrouver chez soi. 

10
Habiter le XIXème (siècle). Descendre dans la mine, faucher le blé, se déplacer à cheval ou en phaéton, aller au bal. Et parfois aller faire un tour dans le XXIème (siècle). 

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Non pas habiter mais décorer. Habiter dans sa maison comme d’autres habitent chez leur chat. Etre au service de sa maison. La peindre, la repeindre, la décorer, l’arranger, la meubler, la remeubler, la nettoyer, la laver, la relaver, la dépoussiérer. Et puis la photographier. La faire visiter. L’habiter? Pourquoi faire? 

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Est-ce qu’on habite un lieu matériel, géographique, répertorié, cartographié, webcamé, googlemapé? Ma maison n’est pas une maison, n’est visible nulle part. Le lieu où j’habite, les personnes avec qui j’habite, les personnes qui m’habitent, les lieux qui m’habitent, les désirs qui m’habitent, les livres, les personnages qui m’habitent forment un monde. De ceux qui ne se matérialisent que dans les pages d’un livre. Combien de mondes invisibles? Chercher les mots pour le révéler.   

A propos de Betty Gomez

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