1.
Je connais une maison qui ne veut pas se laisser vendre. On bouche les failles du crépi, on tond les 2000m2 de terrain qui l’entourent, on taille les arbres, on ramasse les branches tombées lors des tempêtes de l’hiver. La maison enchâssée dans la verdure déborde de primevères, violettes, ancolies, roses odorantes. On la fait visiter. Rien n’y fait.
2.
J’apprends le mot danger dans les ruines d’un château qui a brûlé 200 ans plus tôt. Il est envahi de ronces et d’arbres. Malgré l’interdiction formelle des adultes d’y pénétrer on s’y faufile dès qu’on en a l’occasion. Dans les caves du château une multitude de chauve-souris pendent du plafond. Les garçons menacent les filles : si l’une d’entre elles s’agrippe à vos cheveux, elle arrachera tout. Dans les ruines du château les filles marchent mains sur la tête, certaines recouvrent leurs cheveux d’un foulard qu’elles nouent serré autour du cou.
3.
La maison de la sorcière c’est cette construction au bord du chemin qui mène à la forêt. Forcément. Elle a la forme d’un dôme avec un trou noir en son centre. En s’approchant on peut entendre un murmure menaçant qui résonne sous la voûte. Aucun enfant ne se risquerait à glisser la tête dans le trou.
4.
Les demeures rêvent de demeures
entre sommeil et veilles languissantes
elles refusent d’entendre les craquements de leurs entrailles
le souffle du vent qui soupire
le heurt des mots qui perdurent
épuisés dans l’épaisseur des murs.
Les demeures rêvent de pièces anonymes
où fleurissent les fleurs coupées
où les robes de soie se libèrent
où volent les rideaux vers la mer.
Les demeures rêvent de maisons qui planent
sous un ciel bleu-nuit.
In Ce qui disparaît d’Adalsteinn Arberg Sigurdsson – Éditions Dimma 2022
Ce qui disparaît, c’est le titre du dernier livre d’Adalsteinn. Il me l’a offert la première fois qu’on s’est rencontrés. Il m’a expliqué qu’il était parti de photos de maisons abandonnées prises par Nökkvi Eiliasson au travers du pays : 4000 photos pour 4000 maisons abandonnées recensées ! Parmi les 4000, Adalstreinn en a choisi une centaine. Pour chacune d’elles il a écrit un poème.
5.
Durant une période j’ai rêvé de maisons qui s’élargissaient au fur et à mesure que j’y entrais. Les murs reculaient, de nouvelles pièces s’ajoutaient aux autres, toutes plus grandes, plus hautes, lumineuses. Au matin je me réveillais apaisée avec ce sentiment d’avoir gagné de l’espace intérieur pendant la nuit.
6.
Le dimanche, on tendait des draps entre nos deux lits, voilà la cabane. On se serrait fort, on riait beaucoup. Dans la pénombre les deux vierges phosphorescentes nous éclairaient. La plus grande pour le plus grand, la plus petite pour la petite.
7.
J’ai grandi dans un immeuble bavard au cœur battant. Entre ses habitants, sa tuyauterie, son vide-ordures et le moteur de son ascenseur, il était cette entité vibrante qui me protégeait : un ventre, un abri. J’habitais au 7ème étage, escalier 12, porte droite. Y penser aujourd’hui me donne le vertige.
8.
J’habite une maison de vacances depuis 20 ans. Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie.
9.
Il y a des pièces qu’on redoute (la cave), celles qu’on ignore (les deux chambres désertées), celles qu’on traverse (l’entrée, la cuisine, la buanderie, la salle de bains), celles qu’on partage (le salon et sa cheminée), celles qui bourdonnent (l’espace des petits enfants) et celles qu’on habite (la chambre, le bureau).
10.
Ils construisent leurs maisons avec des plaques de tôles colorées. Ils y accrochent des guirlandes lumineuses, de celles dont on décore les sapins de noël par ici. Elles clignotent jour et nuit sur les façades des maisons qui ne sont pas isolées, ni laine de verre ou de roche, ni pare vapeur, ni fenêtres ou porte calfeutrées, ni double vitrage. Là-bas, l’eau chaude jaillit partout. Il suffit de la faire glisser dans un tuyau, le tuyau circule dans la maison et voilà la maison chaude, même si dehors tout n’est que neige, glace et tempête. Parfois une coulée de lave, une coulée de boue, un tremblement de terre les obligent à quitter leur maison. Qu’importe. Ils la reconstruisent ailleurs avec quelques plaques de tôle en couleur. Là-bas les maisons se construisent, se déconstruisent et se reconstruisent sans état d’âme. Ce qui fait maison, c’est ce qui se trouve à l’intérieur. Là-bas ils savent sans doute ce qui compte. Ils connaissent l’impermanence de la vie.
Superbe texte, j’adore vraiment ! Le fragment démultiplie les possibles. Curieuse de ce livre sur les maisons abandonnées ! ON le trouve facilement ?
Oui superbe livre. On le trouve en Islande. C’est un livre version bilingue français islandais. Peut être est-il possible de le commander auprès de la maison d’édition à Reykvavik ? Je peux prêter mon exemplaire sans souci à condition qu’il me revienne 😉
rien que ce texte justifiait la proposition, et merci spécial pour le 4 !
Merci
Merci pour ce texte optimiste et chaleureux !
« J’ai grandi dans un immeuble bavard au cœur battant. Entre ses habitants, sa tuyauterie, son vide-ordures et le moteur de son ascenseur, il était cette entité vibrante qui me protégeait : un ventre, un abri. J’habitais au 7ème étage, escalier 12, porte droite. Y penser aujourd’hui me donne le vertige. » mais j’aime tout ! avec tout le corps, toutes les sensations avec la mémoire vive … « Ce qui fait maison, c’est ce qui se trouve à l’intérieur. » il fait doux chaud dedans ces fragments
Merci Nathalie, suis touchée
5.
Durant une période j’ai rêvé de maisons qui s’élargissaient au fur et à mesure que j’y entrais. Les murs reculaient, de nouvelles pièces s’ajoutaient aux autres, toutes plus grandes, plus hautes, lumineuses. Au matin je me réveillais apaisée avec ce sentiment d’avoir gagné de l’espace intérieur pendant la nuit.
Il vous faut donc absolument lire si ce n’est déjà fait La Maison des feuilles
Roman de Mark Z. Danielewsk. Cela peut vous plaire.
Merci pour vos textes si touchants, certains entrent en plein coeur.
Je ne connais pas ce livre. Merci pour le conseil !
Tout est à lire et relire dans ce texte. Si bien fait !
Oui, tout est beau dans ces fragments – mais j’ai une tendresse particulière pour la 8 : tout ce qui se déploie, qu’on peut imaginer-ressentir dans l’espace ouvert par le paradoxe joueur.
je découvre tes maisons après les autres
maisons enchâssées, maisons hantées, maisons avec des draps, maisons de vacances, ton imagination m’a emportée… ton imagination des mots car on sent bien qu’elles sont bien réelles
merci Françoise pour tout cela… j’y reviendrai