La danseuse récite la poésie du corps dans des mouvements inexplicables.
Les doigts du virtuose parcourent le manche du violon, les uns courant après les autres comme des enfants dans un jeu de sauts, d’arrêts, de tremblements. Jusqu’au plus petit d’entre eux allant chercher dans une extension extrême la note la plus aigüe, et mourir sous l’impulsion des vagues de l’archet dans un rythme redevenu raison.
Les muscles des mollets gorgés de sang jusqu’à la zébrure des veines ont la peau lisse et humide des sculptures de marbre. Les pieds tournent et le vélo monte. Et le corps décharné. Et l’essoufflement ultime. Et l’esprit bâillonné par la souffrance enveloppé dans un linceul.
Habiter ses mains dans la précision du geste, la touche du pinceau, l’éclat de la gouge, la finesse de la dentelle.
Habiter sa bouche dans l’univers que dévoile la subtilité d’une épice se mariant avec une autre. Jouer du goût comme on jongle avec les plaisirs qui s’enlacent, se repoussent et s’envolent.
Être habité de musique lorsque s’unissent les accords frappés d’un piano cadencé, les envolées électrisées d’une guitare en colère, les hurlements rauques d’une trompette agonisante.
L’immobilité du joueur d’échecs. Penser le monde sur un échiquier, unir les capacités, évaluer les sacrifices, anticiper l’action de l’adversaire, respirer le parfum de l’enfance lors d’une partie avec le grand-père sur le perron de la maison du village.
Habiter le cri. Habiter la délivrance et déchirer le monde de cette lame tranchante. Venir au monde, quitter le monde.
Dans le silence de la nuit, le cœur égrène le temps de ses percussions régulières. La respiration effleure les cymbales et le grondement d’un ronflement fait trembler l’air. Habiter ailleurs dans son corps.
« La danse n’est qu’une forme du temps. Ce n’est que la création d’une espèce de temps, ou d’un temps d’une espèce toute distincte et singulière » (Paul Valéry, Philosophie de la danse). Habiter le temps.
