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Les dernières années de sa vie, ma grand-mère a habité une chambre dans un EPHAD à un étage sécurisé d’où il était impossible de sortir librement. Elle qui adorait sa petite maison et son jardin tout en longueur à flanc de côteaux, la Sèvre en contre-bas. Le meuble télé et la télé dessus. Un fauteuil. Un grand pêle-mêle et les photos de famille avec les noms écrits sous chacune d’elles. Voilà tout ce qui avait pu être apporté de la petite maison. Les dernières semaines, elle ne quittait plus sa chambre. Elle y dormait. Elle y mangeait. Elle y faisait sa toilette. En fait, son corps habitait cet espace d’une dizaine de mètres carrés. Mais son esprit lui habitait d’autres espaces, d’autres temps. Un espace et un temps où elle chantait et dansait La Java bleue, où elle jouait aux cartes, où son fils était encore vivant, où elle habitait encore sa petite maison qu’elle ne quittait que pour habiter quinze jours en juillet avec ses deux petites-filles, sa sœur et sa mère, la maison rouge à la mer.
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Être habité par ou devenir l’objet et non plus le sujet du verbe habiter. Et c’est nous alors qui devenons la demeure.
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Habiter. Habitant. Habitante. Habitat. Habitable. Inhabitable. Habitacle. Habitation. Habitation à Loyer Modéré (HLM). Inhabité. Cohabitation. Habité.
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Je rêve d’habiter dans un Arbre-Maison, comme les Touim’s de Claude Ponti. Entre ciel et terre. Sur les Falaises Bleues. Tout en haut, la chambre des étoiles. Tout en bas, entre les racines, les caves et les réserves de nourriture. Entre les deux : la grande bibliothèque et son lit à lire au chaud, la cuisine-salle à manger, la chambre des trapèzes avec plein de coussins au sol, la piscine, la chambre pour dormir avec beaucoup d’amis, la salle de la balanquette, la chambre noire pour dormir en plein jour, d’autres chambres encore, d’autres bibliothèques, des cheminées un peu partout pour avoir bien chaud l’hiver. (Claude Ponti, Ma Vallée)
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Ils n’habitent plus leur corps abîmé. Ils habitent difficilement leur esprit en dérade. En vérité, ils ne savent plus où ils habitent et errent indécis, le regard vide ou affolé, dans les nuits de Basse-Terre. Un seuil de devanture pour seul asile. La rue pour seule demeure.
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Existe-t-il des territoires absolument inhabités ?
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Ecrire sur le verbe « habiter » et se dire que décidément il me faut lire La Poétique de l’espace de G. Bachelard, reprendre les notes de l’essai de Mona Chollet, Chez Soi, une odyssée de l’espace domestique, rouvrir Perec, Espèce d’espaces, se procurer Sereine Berlottier. Se constituer une bibliothèque de verbe « habiter ». Ce vendredi Patrick Bouchain est l’invité du Book Club. On déambule dans sa bibliothèque.
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Le confinement nous a conduits à habiter nos maisons, au sens plein du verbe.
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Inventaire des lieux que j’ai habités : le ventre de ma mère ; le HLM orange ; la maison à la petite grille noire, 1 rue du Guichet ; la grande maison à étages et ma chambre mauve tout en haut, 13 rue Gâte Bourse ; la chambre carrée toute sombre qui ne laissait pas voir le ciel au 1er étage d’un grand immeuble bourgeois, rue de Verdun à Nantes ; la grande chambre, allée de Plantes à Rennes ; la toute petite chambre de bonne sans douche sans salle de bain, toilettes sur le palier à deux pas de la Maison de la Radio à Paris ; la chambre lumineuse avec cuisine et salle de bains commune dans un Plattenbau au sud de Iéna en Allemagne ; la petite chambre de bonne au 7ème étage sans ascenseur avec un carré de douche, à deux pas du Trocadéro et toujours pas si loin de la Maison de la Radio, à portée des toits de Paris et du ciel ; le bas-de-villa à Trois-Rivières ; l’appentis de jardin transformé en studio à la Regrettée ; l’appartement face à la plage de Grand Anse ; le haut de la maison de Vieux-Fort adossée à la forêt et à portée de mer ; la grande maison en plein centre-ville de Basse-Terre, son jardin et ses avocatiers ; la maison au toit terrasse ; et la maison du Tout-Monde.
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Inventaire des lieux que j’ai habités en nomade : le camping-car de l’enfance ; la petite maison rouge au bord de la mer ; la chambre de ma grand-mère ; beaucoup plus tardivement les chambres d’hôtels ou d’auberges de jeunesse ou de gîte ; les séjours chez les ami.es.
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Rêver d’habiter dans tes bras.
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Il y a des espaces que l’on n’habite pas ordinairement, les espaces de transit, de passage, où nous ne faisons que passer, qui nous permettent d’aller d’un espace habitable à un autre espace habitable : aéroports, gares, couloirs du métro…Habiter un espace requiert du temps passé, de l’intimité, une appropriation du lieu. Ces espaces-là, on ne les habite donc pas. Ou alors on s’y abrite. On s’y réfugie.
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Dans le grand vent des cyclones, souhaiter que sa maison soit aussi solide que celle du troisième petit cochon…
C’est de la dentelle. Merci Emilie. Chaque mot chaque image est un poème. J’aime le fait que tu te donnes la liberté d’explorer le mot habiter et pas seulement de faire un inventaire des lieux que tu as habité. J’aime « Ils n’habitent plus leur corps abîmé. Ils habitent difficilement leur esprit en dérade. En vérité, ils ne savent plus où ils habitent et errent indécis, le regard vide ou affolé, dans les nuits de Basse-Terre. Un seuil de devanture pour seul asile. La rue pour seule demeure. »
Merci Gilda ! J’ai adoré cette proposition vertigineuse qui donne envie de lire et d’écrire. J’aimerais me lancer le défi d’écrire un fragment par jour. C’est une proposition infinie. Et décidément les âmes errantes de Basse-Terre que j’aime les écrire. Mais avant je vais prendre le temps de vous lire. Semaine dense mais on s’accroche !