#anthologie #04 | familiarité des lieux

  1. Habiter la nuit. L’été dans le nord de l’Italie dans une ferme sommaire sans eau ni électricité. L’eau se puise à la fontaine. La vie se déroule dehors, entre le lever et le coucher du soleil. Et puis la nuit, il y a la lune au-dessus des blés murs et des oliviers ; la nuit éclairée, mon premier vrai sentiment de beauté.

2. Habiter le studio minuscule de Jian Shan. Son lit énorme, recouvert de deux édredons épais pour affronter l’hiver humide de Shanghai sans chauffage. Un lit professionnel, dira Kosmo, en riant la première et la dernière fois qu’on a couché ensemble.

3. Habiter chez Mr et Mme Tout le monde. Pour quelques jours à Rennes, à Marseille, à Flins, à Fontainebleau habiter chez les Moreau, les Sanchez, ou les Belkacem. Se coltiner le goût des autres, les tableaux « africains », les commodes cérusées, les fleurs séchées, la plaque déco « Happy Home ». Mon snobisme culturel ne s’applique qu’aux objets de déco « personnalisés ».

4. Habiter au camping municipal. Je note la faculté de s’acclimater très vite, au lieu  et aux gens : on repère les toilettes, les douches,  la salle polyvalente, on salue les voisins hollandais, taille une bavette avec le grand sportif  et sa minuscule tente une place. J’admire la capacité humaine à faire son nid partout, à devenir familier.

5. Chez moi quand je n’y suis pas. Je suis passé chez moi tandis que mon appartement était loué à un couple pour une semaine. Je suis venue déposer en leur absence un baril de lessive et un litre d’huile que j’avais oublié de renouveler avant leur arrivée. J’ai observé comment ils avaient investi le lieu à leur manière.  Leurs vêtements accrochés aux portes, les chaussures bien rangés en ligné dans l’entrée, tout était transfiguré.

6.Habiter l’appartement de Qingxi Lu. Il me servait de logement et de bureau en Chine. J’avais la chambre de gamine rose bonbon tandis que mon associée avait récupéré la chambre parentale (avec mon accord). Dans cette chambre mièvre, j’ai dormi, écrasée de chagrin et écouté l’oiseau obstiné qui chantait dans les néfliers.

7. Habiter dans une grange. Quand j’avais six ans, j’étais chez les scouts (cela s’appelait les « Jeannette ») pour un camp d’une semaine à la campagne. C’était à la Toussaint et il faisait un temps de chien, une pluie quotidienne têtue et froide. Nous dormions sur des lits de camps sous une grande tente miliaire.  On pataugeait dans une boue collante et les lits glissaient dans la pente. Au bout de deux nuits, j’ai pris la décision d’aller me réfugier dans une grange avec ma copine G et de nous bâtir des alcôves chaudes et sèches avec des bottes de paille. D’autres fillettes nous ont rejoints.  Je n’ai pas gagné ma « Fleur bleue » cette année-là  – elle récompensait les scouts les plus méritantes – et j’ai quitté la troupe peu après mais ce souvenir de rébellion enfantine et de paille sèche me ravit toujours.

8. Habiter sous un chêne vert. A midi, se tenir dans le cercle de son ombre sous la protection du houppier.

9. Habiter la maison de Belledonne. Le froid nous pénétrait jusqu’aux os quand on y allait en février pour skier. Il fallait une bonne journée avant que la chaudière au fioul ne tiédisse l’air ambiant de la cuisine, de la salle à manger et de la salle de bain. Les autres pièces restaient froides. Je me souviens que de l’antigel bleu coulait des robinets.

10. Habiter la maison fantôme. Une fille a perdu la maison qu’elle venait d’acheter dans la tempête Alex (Octobre 2020) qui a frappé la vallée de la Vésubie et de la Roya ; Quelque chose n’a pas fonctionné (son assurance ?) et elle rembourse aujourd’hui les traites d’une maison engloutie.

11. Habiter la Guest House de Ziguinchor. L’éclairage est chiche. L’eau jaunâtre suinte du pommeau de douche. Tout est rouillé. Je prends conscience de mes revendications de confort : un sol sec et propre, y voir assez pour lire au lit et une pression correcte de la douche.

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire en France et dans le monde. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog de mes années chinoises : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)

Un commentaire à propos de “#anthologie #04 | familiarité des lieux”

  1. 5. Chez moi quand je n’y suis pas. Je suis passé chez moi tandis que mon appartement était loué à un couple pour une semaine. Je suis venue déposer en leur absence un baril de lessive et un litre d’huile que j’avais oublié de renouveler avant leur arrivée. J’ai observé comment ils avaient investi le lieu à leur manière. Leurs vêtements accrochés aux portes, les chaussures bien rangés en ligné dans l’entrée, tout était transfiguré.

    Merci Geneviève, j’aime vos mots, vos textes. J’ai aimé celui ci particulièrement. Et je me suis reconnue dans celui des  » jeannettes » que j’étais aussi et rebelle également. Bien à vous.