#anthologie #04 | fragments de lieux de mémoire

1 J’ai habité rue chaussade; j’ai habité rue Desnouettes; j’ai habité rue Franklin Roosevelt; j’ai habité rue Louis Braille; j’ai habité au Mas du taureau; j’ai habité je ne sais plus où, j’ai mangé le nom des rues; j’ai habité rue Jacques Brives; j’ai habité à Puteau; j’ai habité Bois D’Arcy; j’ai habité à Montpellier; j’ai habité à Strasbourg; j’ai habité à Lyon; j’ai habité dans des lieux dont je me souviens mais dont les noms m’échappent.

2 Habiter à Firminy pour y finir sa vie, ça ne dit pas grand-chose à grand monde. Rue des Abattoirs, puis rue Fayolle, avec un petit jardin pour y faire trois légumes et quelques fleurs. Y vivre jusqu’à la mort de Marie et ne plus pouvoir y rester. Crise cardiaque. Papa, tu ne peux pas rester là. Alors Jean, dit Pierre, a quitté Firminy, pour Paris ou pas loin, près des bords de Marne où chaque jour il a promené Titus après s’être rasé et avoir ajusté son béret.

3 L’appartement. C’est comme ça qu’on l’appelait. Il s’opposait au pavillon que nous avions dû quitter pour habiter l’appartement. Le pavillon était une maison avec jardin, la Marne pas loin, un talus non encore aménagé, des terrains de jeu, d’exploration et d’histoires secrètes. L’appartement était un appartement. Le jardin c’était la rue, la Marne, c’était la rue, le talus, c’était le Géant Casino. 

4 Le premier appartement que j’ai habité étudiant était immense. Un F5 à Vaulx-en-Velin à l’époque où ça s’enflammait facilement. Le soir, les Audi lâchaient leurs chevaux et fumaient les pneus pour un public de petit mecs qui, eux, piquaient des 4L parce qu’ils pouvaient les conduire debout, grâce au levier de vitesse à hauteur de volant.

5 La maison de famille n’en est plus une depuis la mort du père. Ça ne s’explique pas. Il y est né et l’a habitée dès qu’il a pu y retourner, à sa retraite.

6 Il y a dans le garage un nichoir pour mésange. C’est une question de diamètre d’entrée. C’est à ça qu’on sait que c’est un nichoir à mésange. Il le voit dans le garage mais ne sait pas où le mettre pour que les oiseaux soient bien (protégés de la pluie, du vent). Il y pense chaque hiver. Il se promet de le fixer à un arbre pour le printemps. Pendant ce temps-là où habitent les mésanges?

7 Et les hiboux? Cette année, ils ne sont pas revenus dans le vieux cyprès. Il en a compté jusque dix. Le plus souvent ils étaient cinq. On savait leur retour aux fientes et aux pelotes au pied de l’arbre. L’hiver, alors qu’il pensait à fixer le nichoir à mésange (mais pas sous les hiboux, il serait couvert de fientes), les moyens ducs partaient nicher ailleurs. Ils ne sont pas revenus. C’est con, il les attendait. Habitent-ils avec les mésanges?

8 Elle l’a invité dans sa chambre de Philippin. C’est comme ça qu’elle appelle sa piaule au dernier étage sans ascenseur auquel on accède par l’escalier de service d’un immeuble haussmannien. Elle vit là, seule, vraiment entourée de Philippins, ouvriers exploités parmi les exploités, et d’une mère qui habite la chambre d’à côté, seule avec sa fille, dans 10m2 tout compris sauf les toilettes. Les toilettes, tout le monde les partage sur le palier. Quand elle l’a invité, ils ont mangé sur le lit les bricoles achetées au Franprix. Il n’y a pas de place pour une table. Elle dit qu’elle est bien là-haut, que c’est à elle. Il la croit. Il l’a vu

9 Je me souviens d’une maison habitée par un pharmacien. La piscine se prolongeait dans la maison. On pouvait y entrer depuis le salon et passer à l’extérieur. J’avais trouvé ça un peu surfait. 

10 Habiter Paris, enfin. Accrocher des nichoirs aux garde-corps des fenêtres. Regarder les moineaux, les pigeons, les corbeaux. Et mourir là, pas trop loin de la Marne

2 commentaires à propos de “#anthologie #04 | fragments de lieux de mémoire”

  1. Émue par « Alors Jean, dit Pierre, a quitté Firminy, pour Paris ou pas loin, près des bords de Marne où chaque jour il a promené Titus après s’être rasé et avoir ajusté son béret. »