À l’âge de 18 ans j’habitais deux maisons, avec l’envie de rester dans l’une, de partir de l’autre, de partir de l’une, de rester dans l’autre.
Il habite la margelle du pont de pierre. Il y observe les fruits mûrs du verger, le chant des grenouilles et le passage du vent. Le ruisseau lui offre sa fraîcheur et la danse des lentilles d’eau traversée par les canards. Il discerne les traces des années disséminées sous les ronces et le tas de fumier. Parfois il sourit. Souvent il rejoint l’orée du bois tout proche où il écrit dans un cahier bleu petit format. Il l’a choisi par hasard, pour occuper son oisiveté, un jour où il flânait en ville. Les petits carreaux lui rappellent ses années d’écolier.
Habite-t-on le lit des rivières ?
S’installer, ouvrir la valise, étaler le contenu de son bagage sur le carrelage, sur le lit, le porter dans ses bras arrondis, ranger ses vêtements sur l’étagère de la penderie, tirer la chaise rangée sous la table en bois, s’y assoir en tailleur, découvrir l’horizon de ce nouveau lieu.
Au premier étage le salon serait confidences et musiques tournoyantes sur le tapis à franges. Au deuxième on dormirait dans le silence des grandes hauteurs, à l’aplomb des nuages qui envelopperaient les songes. Au-dessus serait son refuge, un perchoir aux multiples facettes, parfois pièce des miracles, parfois château ambulant. Il serait comme une cabane dans les arbres.
J’ai une maison
Pleine de fenêtres
Pleine de fenêtres
En large et en long
Et des portes aussi
Faut le reconnaître
Et des portes aussi
Il faut bien sortir
J’ai une maison
Pleine de fenêtres
Pleine de fenêtres
En large et en long
Et un escalier
Qui grimpe, qui grimpe
Et un escalier
Qui fait mal aux pieds
J’ai une maison pleine de fenêtres – Anne Sylvestre
J’ai écrit un livre sur notre maison de famille, la Sablière. J’ai réalisé l’arbre généalogique de notre maison familiale, la Sablière. Elle a traversé quatre siècles, protégé un capitaine de Vaisseau du Roi, un secrétaire du bureau de l’Intendance, un prêtre chanoine de l’Eglise Cathédrale paroisse de St Barthélémy. Entre les murs de cette demeure, quelles étaient leurs habitudes, leurs colères ?
Une nuit épaisse. Un escalier habité par les araignées, un étage encombré de vieux meubles poussiéreux, des portes en enfilade, une chambre menant à une autre chambre, puis une autre, différente, meublée d’un lit une place, d’un lit deux places, décorée de tableaux fleuris ou d’une tapisserie déchirée, un couloir s’allongeant au rythme des pas, des portes se multipliant. Et soudain, se voir enfant, assis sur un lit. Vouloir s’approcher, se reconnaître et puis le voir s’envoler jusqu’à toucher le plafond et disparaitre. Un instant il était là puis il n’y était plus.
Elle l’a voulu feng shui. On en a ri. On s’en est étonné. Elle a voulu une harmonie d’énergie, favoriser le bien-être, parler au chi et au Yin. On a été invité, on a passé le pas de la porte avec curiosité. Et depuis on rêve d’y retourner, de dormir à nouveau dans la chambre mansardée du premier étage, près de l’alcôve aux senteurs jamais retrouvées.
La maison serait froide, envahie de cartons. Il ne resterait qu’une chaise sur laquelle elle serait assise. Une chaise que l’on jetterait lorsque toutes les pièces seraient vides, lorsque les pièces auraient changé de couleur, que les sons ricocheraient sur les murs, abandonnés aux fantômes des ancêtres. Les siens, ceux des autres, ceux d’inconnus qui ne le seraient plus. Elle partirait. Mais à cet instant elle serait assise sur la chaise entourée des odeurs, des bruits de pas, de cavalcades et des éclats de voix d’hier. Elle habiterait encore quelques heures ce nouveau silence chargé de soleil.