Tes doigts le connaissent mieux que tes yeux. C’est un trombone, un morceau de fil de fer avec une épingle à cheveux en demi-tour, une autre et encore une autre. Tu n’as pas besoin de trombone, tu n’as plus de papiers, que des livres ou des feuilles volantes qui se passent de trombone, ou qui sont trop nombreuses pour ce petit trombone. Le trombone, tu le tripotes, tu coinces ton doigt dans ses courbes, tu lui déplies une patte pour avoir quelque chose de piquant, mais pas trop pointu, pas une épingle ou une aiguille, juste un bout de fil de fer, juste assez solide pour sortir la petite carte du téléphone, pour aller gratouiller une saleté ici où là dans un petit coin caché. Mais tu n’as pas sorti la petite carte du téléphone depuis bien longtemps. Le trombone c’est pour tes doigts, pour les occuper, pour qu’ils ne gênent pas tes idées qui gigotent dans ta tête. Tu le déplies, tu le replies, tu le tords, tu testes ses limites comme sur un élastique, tu le coinces entre le pouce et l’index, entre le pouce et le majeur, entre le pouce et l’annulaire, et plus difficile encore entre le pouce et le petit doigt. Le petit doigt passe dans l’œil du haut sans abîmer l’élastique du trombone, sans lui faire toucher ses limites, sans le casser. Parce qu’une fois le trombone cassé, tu jetteras les deux parties, même si tu ne t’en sers pas comme d’un trombone et que les deux morceaux te feraient le même usage de diversion, de grattouillage, d’occupation des doigts pour laisser tes idées tournicoter tranquilles. Mais parce qu’un trombone en deux morceaux, ce n’est plus un trombone