La poubelle n’avait rien dit. Elle était pleine, simplement pleine, posée sur le sol de la cuisine. Elle m’encombrait. Jusque là elle ne m’avait rien fait. Je n’aurais pas eu l’idée de jeter le sac poubelle avant ce moment-là. Il y avait eu pourtant un tournant décisif où le sac poubelle était devenu poubelle à jeter. Je me voyais jeter la poubelle. M’en débarrasser, la liquider, la faire disparaître, sentir la joie de sa disparition – une bonne chose de faite. Je sentais déjà la joie de l’oubli, puis la satisfaction d’entamer une nouvelle poubelle. J’allais courir vers le bac le plus proche. Je ne me voyais pas porter la poubelle longtemps, je n’avais jamais vu personne se promener une poubelle à la main, sans cette urgence à s’en séparer. Je l’ai fermée. Je l’ai fermée avec un noeud, je l’ai attrapée par le noeud en pensant « il faut la descendre ». Il fallait impérativement la descendre. Je ne m’imaginais pas monter la poubelle dans les étages. Je ne me demandais pas « tiens, et si pour une fois je montais la poubelle ? ». J’avais cette urgence familière à descendre la poubelle. C’était le seul geste possible. À quel âge ai-je été capable de descendre la poubelle ? À quel âge ai-je ressenti l’urgence de jeter la poubelle ? L’histoire commence avec ce geste. J’ai donc attrapé la poubelle bedonnante de la main droite. Elle ne méritait aucun soin. Elle pendait à ma main, lourde. J’ai pensé sans y penser à la pastèque pourrie parmi les ordures. Je n’avais pas l’intention de faire la liste des ordures. Je connaissais mes ordures. Je ne m’intéressais pas à mes ordures, qui, rassemblées dans un sac noir formaient la poubelle. J’ai descendu les escaliers. J’ai propagé l’odeur de mes ordures dans l’escalier. J’ai couru dans la rue. J’ai lancé la poubelle dans le bac. J’ai senti que j’aurais aimé la lancer plus fort, j’aurais aimé que la poubelle explose. J’ai écouté le bruit froissé de sa chute. J’ai pensé aux ordures de la rue réunies là, et je me suis vue quelques instants parmi les ordures.
Superbe ! c’est drôle et puissant, ça raconte bien au delà d’une histoire de poubelle à jeter. Un régal !
Très fort oui, ce texte où la poubelle charrie tout un vocabulaire et donc un imaginaire pour moi proche du roman policier, cette poubelle comme un corps, comme un meurtre, comme quelque chose de coincé et de compliqué. j’aime l’ouverture sur le souvenir du narrateur, ma vie commence avec ce geste…
Inattendu, le titre bien sûr appelle à la lecture, découverte d’un texte drôle et fort, je partage les commentaires précédents…