#anthologie #03 | máquina

La máquina a été oubliée. Je la vois, toute inutile, dans les débris du chantier.  Máquina qui sert à quoi. À rien pour le moment. Des hommes s’en sont servi et cela a un rapport avec la construction de la maison. Puis ils l’ont oubliée. Elle leur manque peut-être. Peut-être se demandent-ils, où ? qui ? pourquoi ? Peut-être vont-ils devoir racheter une nouvelle máquina, lisse et brillante. Couteuse ? Peut-être que la máquina est à usage unique. La coutume voudrait qu’on l’abandonne dans les débris du chantier. Une sorte d’offrande. Tant qu’on ne vient pas la réclamer, elle m’appartient. Elle est à moi la máquina métallique. Elle est remplie d’une substance, comme du riz au lait, mais dur, dur ! Je me dis, la regardant bien par terre, mais sans la toucher encore, je me dis que oui je la rendrais. Si on me la réclame. Bien sûr je la rendrais à ceux qui l’ont oubliée, mais en attendant je vais la ranger. Ça pourrait servir. On ne sait jamais. La jeter serait une erreur. Il suffirait de la jeter, pour en découvrir l’utilité. En ressentir le besoin. Penser ah, la máquina, elle rouille dans un container à ordure, elle s’emplit de déchets ménagers, alors que là, je pourrais en tourner la manivelle et la rendre à sa vraie nature. La manivelle la rend attrayante. Il est agréable de s’imaginer tourner une manivelle. À l’intérieur de la máquina (tapissée de riz au lait durci, tout comme), des griffes sont attachées à l’axe de cette manivelle. Elles ressemblent, en plus grandes, à celles des boites à musique mécaniques qu’on achète dans les magasins de souvenirs des quartiers touristiques. Et ça donne envie, ça oui, ça donne envie de tourner la manivelle pour entendre le son de la máquina, même si on se doute que ce n’est pas l’objectif premier, qu’il s’agit bien d’un outil, que cet outil a un rapport avec la construction de la maison et qu’il a été oublié ou abandonné sciemment par les hommes du chantier. Je le sais bien que la máquina est un outil. Je le sais bien que la máquina n’est pas une boite à musique. Je n’ai pas trop d’attentes lorsque je me décide à tourner la manivelle. Mais je suis contrarié de constater que le riz au lait durci à l’intérieur de la máquina bloque le mécanisme pourtant rudimentaire. Ce qui devrait tourner ne tourne pas. Ça ne tourne pas. C’est bloqué. C’est muet. Muet.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).