# anthologie # 03 | loupe à main

Elle était sur sa table de travail. Sa loupe à main. Je la revois. Je le revois.  Il la prenait par le manche qui aurait pu être celui d’un pinceau. Il la tenait, la promenait au-dessus des détails. Restauration d’une toile, écritures en pattes de mouches. A mon tour je la prends, je la tiens, je la regarde. Je regarde à travers. Verre à lentille convexe. Tu vois ce que je veux dire. Ô le verre. Revenant.  Quand il a fallu vider les lieux, pas question de l’enfermer dans un carton, d’en faire un objet de brocante. Elle est toujours là, tout près. Sur ma table de travail. Faite pour rapprocher encore. Son manche de bois sombre est lustré par la main du peintre et sans doute par la main de l’homme qui l’utilisait avant. Loupe lourde : rectangle transparent encadré par du laiton. Boule de cristal aplatie dans son cerclage métallique. Petite fenêtre portative. Loupe, son nom. Mieux vaudrait fenêtre- de- main ou verre- à- voir.  D’abord parce qu’on ne peut pas partir de son nom pour faire un verbe correspondant. Le verbe louper. Tu as loupé la marche, loupé le coche parce que tu n’as rien vu. Ce ne serait pas elle. Elle que je peux placer devant la photo de son visage pour me rapprocher de lui, pour l’imprimer au fond de mes yeux. Des centaines de fois. Elle pour déchiffrer les signes, dire que je fouille les apparences. Elle pour revoir. Au revoir. Grâce à une espèce de macroscope supporté par sa hampe. Il fait le même geste. Je peux le retrouver en grossissant les mots de ses lettres que je sors des enveloppes. Encre sépia sur papier avion. Je survole avec un planeur de verre sa belle écriture penchée. J’admire le paysage des boucles, le geste suspendu et la reprise du flux. Elle pour atterrir, dire que je peux passer à travers. Elle pour relire.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.