L’homme était par terre, un corps long sale. Dès que je l’ai vu, dès que j’ai vu cet homme je me suis dit je vais le relever et je vais le prendre dans mes bras. Le prendre. L’emmener et le garder avec moi. Contre, je me disais. Le regardant cet homme je le pensais. Un homme je pensais en moi tout bas, pour moi d’abord, dans la sourdine de mon cœur. Je le pensais le regardant. Puis fort. Comme crier en dedans je pensais, assez fort pour réveiller un corps. Très fort. Comme un cri je pensais cet homme le regardant. L’homme était à terre. Ce n’est pas une pierre tout de même je pensais. Si c’est un homme on ne peut pas confondre. L’homme était là comme personne et il y avait de la terre autour et des feuilles. Beaucoup de feuilles cependant le trottoir. Beaucoup. Et le regardant, regardant ce corps, cet homme en somme, du moins en avait-il l’apparence, même sans chapeau, et pensant à lui autant que je le pouvais; autant que je le pouvais en dedans de moi tout de même, comme crier en rêve, l’homme ne se tournait pas. Un morceau de bois, je pensais, une souche. Une pierre. Pas un parpaing – un parpaing ça ne se peut pas si c’est un homme. Si c’est un homme comme je pense je me disais, je ne dois pas le confondre, je dois le prendre. Mais s’il pouvait une fois se tourner un peu, je pensais. Prêter la main en quelque sorte, se tourner rien qu’un peu, même une fois, à peine. Je le pensais très fort m’approchant jusqu’à l’oreille avec les yeux. Mais rien ne bougeait. Pas même une feuille. S’il pouvait, rien qu’une fois, je pensais. Bon mais le regardant dans l’oreille et m’imaginant le relever et le prendre avec mes bras je me disais : tout de même une fois que tu l’auras relevé tu en feras quoi. Tu as la force de le relever tu le crois et c’est possible mais tu en feras quoi une fois dans tes bras. Peut-être qu’il faudrait le trainer plus loin, je pensais, du moins le déplacer parce qu’ici il est exposé je pensais. Au monde même, je pensais en le regardant dans l’oreille. Je m’imaginais l’avoir relevé et le maintenir avec mes bras sous ses bras, contre moi. Je pensais tu vas le lever le mettre sur ses pieds et le maintenir c’est ainsi, je pensais : ce sera lourd comme une chose abominablement lourde. Je pensais cet homme à part moi dans la pénombre de mon cœur je le pensais et je voyais l’abime. Je vais le prendre dans mes bras et on verra, me dis-je pour me rassurer. Tu vas le soulever, il faut bien commencer, c’est un début et Y a qu’une chose à faire si tu vois, un homme par terre, tu le prends et tu le soulèves, je le pensais avançant mes mains, tu le prends même avec une corde s’il faut… et tu tires… et je m’imaginais très bien avec cette idée, je vais le relever, le prendre dans mes bras, je l’emmenais, je l’imaginais le regardant dans l’oreille à terre. J’imaginais. Je m’imaginais. Je l’imaginais. Et rien ne bougeait.
Je n’ai pas encore écouté la consigne d’écriture mais déjà je tombe en émoi devant ton texte et cet homme à ramasser ou à laisser. J’ai comme vu et entendu le monologue qui serait dit sur un plateau vide. Une voix qui dirait tout cela aux gens, en montrant ou non, un corps. Merci Nathalie.
Merci Clarence beaucoup. Un jour j’aimerais aller vers la scène ( mais )
Oh la la encore si puissant. Je sens le poids de l' »objet ». De l’inertie de l’objet, d’une sorte de difficulté à exister avec lui. Merci
Merci Lisa . Difficulté à . Je crois particulièrement en ce moment
Et moi irrémédiablement je vois une piéta, Michel Ange au Vatican je crois…le poids du corps, le poids de la douleur, alors comment prendre dans ses bras ? Au dessus de laquelle planerait l’ombre du grand Sam. Bonne journée Nathalie
Merci pour l’image de la Piéta Stephanie . Merci pour la lecture.
« L’homme était à terre. Ce n’est pas une pierre tout de même je pensais. Si c’est un homme on ne peut pas confondre. «
C’est très fort cette idée de vouloir relever l’homme à terre, de le prendre dans ses bras, tout contre… métaphore puissante qui me parle du temps présent et de ce sentiment d’impuissance terrible.
Magnifique chute aussi avec ce dernier paragraphe : « Y a qu’une chose à faire si tu vois, un homme par terre, tu le prends et tu le soulèves, je le pensais avançant mes mains, tu le prends même avec une corde s’il faut… et tu tires… et je m’imaginais très bien avec cette idée, je vais le relever, le prendre dans mes bras, je l’emmenais, je l’imaginais le regardant dans l’oreille à terre. J’imaginais. Je m’imaginais. Je l’imaginais. Et rien ne bougeait. »
Pourvu que ça bouge !
Oh tellement oui: si seulement . Merci Françoise pour les retours.
très fort ! on est avec toi, avec cet homme dans les bras… merci