LE STYLO PLUME était sur le bureau, sur le bureau de S, une forme élancée, laquée d’orange, dès que je l’ai aperçu, dès que j’ai aperçu ce stylo-plume, j’ai eu envie de le toucher, de le soupeser, j’ai dit à S comme il est beau tellement beau, elle voyait comment je le regardais, déjà je ne voyais plus que lui, ce stylo-plume, capuchon refermé, sur son bureau, alors elle a pris le stylo-plume, le stylo-plume orange et elle me l’a tendu en disant tu veux le voir de plus près ? je l’ai pris dans ma main, j’ai senti sa surface lisse, laquée, contre la paume de ma main, j’ai refermé mes doigts sur cette douceur, sur la douceur du stylo-plume, je me disais j’ai envie de le garder, de le garder dans ma main, j’ai envie de garder ce stylo-plume dans ma main, de le garder pour moi, je l’ai ouvert délicatement, infime déclic du capuchon, j’ai regardé la plume, aigue, son or un peu marqué d’encre, tu veux l’essayer ? non on n’essaye pas un stylo-plume, on n’écrit pas avec le stylo-plume de quelqu’un d’autre, on risque d’abîmer la plume, elle a insisté, elle m’a tendu une page imprimée sur laquelle elle avait rayé un paragraphe, j’ai appuyé doucement la plume sur le papier, dans la marge de la feuille, je ne savais pas quoi écrire, alors j’ai écrit stylo-plume dans la marge de la feuille, la plume a légèrement crissé sur le papier, je me disais c’est idiot d’écrire stylo-plume avec ce stylo-plume si beau, les doigts serrés sur la laque orange de son corps élancé, alors j’ai écrit laque et aussi orange, j’avais envie de le garder, de le garder dans ma main, de le garder avec moi, j’ai soupesé son corps de stylo-plume, ce qu’il avait de léger et de lourd à la fois, j’ai refermé le capuchon – déclic plus prononcé qu’à l’ouverture – et j’ai rendu à S son stylo-plume, son magnifique stylo-plume et maintenant j’écris de nouveau à la main, après des années d’écriture tout ordi ou téléphone que ce soit pour le travail ou la fiction, j’écris de nouveau à la main, depuis quelques années j’écris souvent avec ce beau stylo-plume, pouce index et majeur serrés sur son corps de laque orange, j’écris sur un carnet, cela a commencé dans l’Open Space, j’échappais ainsi par moment au regard que tous et chacun posaient sur les écrans des autres, sur mon écran ouvert aux yeux de tous, j’écrivais sur un carnet, je retrouvais une intimité perdue, un sanctuaire d’enfance, c’est toujours avec une sensation de secret précieux que je prends mon stylo-plume, que je l’ouvre, que je fais courir la plume sur une feuille en attente de mots que seul il pourrait me donner, parfois rien ne se passe, la plume est sèche, j’ouvre le corps de mon stylo-plume, inspecte la cartouche, je la presse s’il reste un peu d’encre pour qu’elle vienne abreuver la plume, je serre mes doigts autour de lui, mon stylo-plume qui prolonge ma main qui prolonge mon bras, ce stylo-plume que je vois parfois comme mon prolongement, comme mon aboutissement.
coucou Muriel
te retrouver autour d’un stylo plume un peu laqué, la laque me ramène à tes anciens personnages d’Orient, la plume parfois sèche qui ne coule pas, la plume qui résiste… ton outil…
Merci Françoise, je vais reprendre la plume et le clavier après une petite absence