#anthologie #03 | la vasque aux mégots

Dès qu’on quitte les longs couloirs, une étrange lueur de sable commence à essaimer le hall. On se dirige vers les baies vitrées, les portes automatiques ouvrent le paysage, et le vent brusque nous engloutit dans sa lumière. Nous sommes dehors, les quelques âmes qui rôdent là avec nous commencent à s’asseoir à même le sol contre le mur. Un énorme vasque remplie de sable et de mégots trône triomphalement devant nous. J’ose à peine la regarder comme on baisse les yeux devant la statue du temple. Chaque reste de cigarette est un résidu de traîne-tristesse venue descendre là en savates, pour s’étioler dans l’air frais, et reposer parmi les autres mots de bouches. On compte globalement des yeux les bouts déteints, écrasés, ces verdicts consentis, les nouvelles amères, isolés les uns des autres, presqu’à distance égale. On n’ose pas déranger, on pose à côté son brûle-cœur, sans pousser ce qui est resté de la pause d’un autre, cette trace d’isolement, un mégot enfoui dans le sable. Devant l’urne géante, c’est un peu comme si on se recueillait ensemble, tendres et silencieux, devenus halos de fumée bleue. Avec l’encens, et bientôt les libations.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec les anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, dessins, compositions sonores...

4 commentaires à propos de “#anthologie #03 | la vasque aux mégots”

  1. Merci pour cette poésie qui en dit long sur les mégots dans la vasque

    • Merci beaucoup Philippe
      je ne fume quasiment plus, mais ai gardé cette solidarité silencieuse, l’attente fixe, le décor, l’intérêt prolongé aux choses
      aux événements