Je suis tombé sur la tapette à mouche en plastique vert. Si c’était une raquette de tennis, j’aurais dit qu’il y avait des trous dans la raquette. Mais c’est une tapette à mouche en plastique vert. J’aurais voulu la prendre mais je ne pouvais pas. Elle était posée là, sur l’étagère, dans ce qu’on appelle l’écurie. Je l’ai longtemps regardée. Je me suis dit, dans ma tète, il y a des trous dans la tapette comme j’aurais dit il y a des trous dans la raquette. La dernière fois que j’ai entendu l’expression, elle venait d’un haut fonctionnaire du ministère de l’enseignement supérieur. Il avait dit: « il y a des trous dans la raquette mais… ». Mais quoi? Je ne m’en souviens pas. Là, devant la tapette en plastique vert ça ne m’est pas revenu. Il voulait dire qu’il y avait encore du boulot, que c’était pas gagné, qu’il restait du chemin à parcourir, que ce n’était pas parfait. Il a dit: « il y a des trous dans la raquette mais… ». Et moi, là, devant la tapette à mouche en plastique vert, je l’entendais parler de raquette. Je la regardais la tapette. Et plus je la regardais, plus je voyais un homme la tenir et sourire. Il la tenait comme un sceptre la tapette à mouche en plastique vert. Il était assis sur un fauteuil en cuir, en short, avec des charentaises trouées et un tee-shirt rouge délavé. C’était l’été. Il y avait des mouches. L’homme parfois disait saleté de mouches. Quand il ne brandissait pas la tapette à mouche en plastique vert, il la gardait posée à sa droite sur le fauteuil. À sa gauche, reposait la télécommande de la télévision.
J’ai finis par prendre la tapette à mouche. J’ai fendu l’air avec comme Zorro, pfffft pfffft pfffft, et j’ai chanté « un Z qui veut dire Zorro ». Je me suis promené avec la tapette à mouche en plastique vert, elle était vraiment abîmée, trouée, déchirée même. J’ai fait le Z de Zorro deux ou trois fois puis j’ai porté l’estocade, à la fin de l’envoi je touche. Puis j’en ai eu assez. Je n’avais pas envie de jouer. Je l’ai prise contre ma poitrine la tapette à mouche en plastique vert, comme un fusil porté au garde-à-vous mais pas comme un soldat, comme un gamin qui se souvient. Je tenais le manche de la main droite, la main gauche était posée à plat sur le filet déchiré mais pas assez pour faire rire les mouches. Je l’ai gardée comme ça un moment au chaud de ma main la tapette à mouche en plastique vert. Je rêvais ou bien je me souvenais ou je ne pensais à rien, je ne sais plus. Je l’ai reposée sur l’étagère. Cette tapette à mouche en plastique vert, c’est le genre de tapette qu’on ne jette pas.
des fois, bientôt, j’attendrai de voir tes contributions pour savoir quelle consigne j’ai à mettre en ligne ! bon voyage en tout cas !
haha François, tu exagères, c’est bien toi qui impulses, et je prends au vol, quand je peux 😉
La tapette à mouche fait partie aussi de mon enfance et elle existe toujours accrochée dans la cuisine parentale bien qu’ayant perdu de ses trous par dessication. Elle est verte aussi avec un manche métallique embouti,.Il reste encore assez de trame pour avertir les mouches qu’elles vont devenir indésirables.Il en vient peu depuis qu’on a collé des sticks repoussoirs Van Gogh iris ou tournesol, Coccinelle ou papillon. On ne voit plus les cadavres. Par contre, on utilise encore le ruban à colle suspendu avec une punaise dans un coin. C’est tout aussi cruel. On n’a jamais réussi à utiliser la raquette électrique qui les grille… autre invention criminelle. Les mouches nous dérangent, si au moins elles se taisaient…Il y en a de plus sales que d’autres, les viandardes… Voici venu le temps des mouches estivales. Vivre avec ? Elles font le tour de la pièce et reviennent nous narguer… Lorsqu’elles se posent en frottant leurs petites pattes de devant, on le trouve mignonnes… La mort d’une mouche, il y en a que ça fascine… Marguerite Duras par exemple et ça devient de la littérature. Heureuse de te revoir ici.
C’est bien quand un texte en produit un autre en réponse ou en écho. Je vois les usages, le rapport aux mouches qui font râler, il y en a toujours trop qu’on écrabouille ou qu’on attrape à la glue sur les rubans où elles mettent longtemps à mourir. Gamin, j’étais fasciné par ces colliers de mouches mortes, mourantes ou encore vrombissantes par intermittence, tentant de s’échapper de la colle. C’était avant d’être attentif à la mort d’un mouche. Depuis Duras, oui. « On peut aussi ne pas écrire, oublier une mouche ».
à bientôt Marie-Thérèse
j’aime cette superposition toute fantaisiste, dégringolante, et les dernières lignes qui méandrent..
Merci Françoise, j’aime l’idée de ces dernières lignes qui méandrent
à Sète, un soir au musée des Arts Modestes, j’avais rencontré un nommé Artaud (ne me souviens plus de son prénom), collectionneur de tapettes à mouches et ses amis lui en ramenaient de partout, zut, plus trop de nouvelles de lui sur les réseaux
alors là, je vais me renseigner, un collectionneur de tapetttes à mouche à Sète, je vais aller au MIAM voir s’il y a des restes
merci pour l’info
que dire ?
bravo et avoir un dernier sourire pour t »pondre aux mouches qui dédaignent le rire
je n’avais jamais pensé à la possibilité de voir une mouche rire,
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