#anthologie #03 | la pierre rouge

La pierre rouge est rouge. Oui mais, de quel rouge ? La pierre rouge est rouge-sang-de-boeuf-séché. Je n’ai jamais vu de sang de boeuf séché, ou ça n’a pas retenu mon attention. Rien noté. La dénomination m’évoque un effet de cuisson. La pierre rouge a été cuite, cuite autrefois. Quand j’écris sang de boeuf, je vois des carcasses, la cage des poumons qui s’éploie, Rembrandt, Chaïm Soutine, cette incroyable photographie en noir et blanc où Francis Bacon pose en pantalon noir, torse nu, entre deux carcasses suspendues. Une histoire prise, saisie entre deux crochets, boucherie et peinture. Un motif, presque un poncif. Oui mais, la pierre rouge est rouge-sang-de-boeuf-séché.

La pierre rouge est là.

Un pavé irrégulier de 10 centimètres d’arrête. 10 centimètre carré au sol. 10 centimètres cube d’occupation dans l’espace. Une concrétion sans qualités, sans distinction autre que sa couleur. Elle tient dans la main. Je peux m’en saisir. A ce moment, elle est sur la terrasse. Avant, elle a pu orner une dalle dans l’appartement. Eclat, correspondance, la pierre rouge est disposée selon affinités de couleur avec un objet afférent. La pierre rouge circule selon les humeurs de l’occupant. Sa loi appartient au régime des couleurs. Son fait est d’être une pierre, élément minéral dont je peu disposer, que je peux déplacer, transporter, reléguer, exposer. J’aime les pierres, mes amis le savent et m’en rapportent de leurs pérégrinations. La pierre rouge a la couleur cuite des lointains australs. De la main de M. qui l’a ramassée, elle a trouvé le chemin de ma main. La pierre rouge a été transmise de main à main. La pierre rouge a été élue par le regard de M. pour trouver le chemin de ma main. La pierre rouge est la trace du lien qui me lie à M. La pierre rouge trace un trait entre le proche et le lointain, une île volcanique des Antilles. La pierre rouge est issue des entrailles de la terre, du remuement du magma. La pierre rouge est un segment entre l’espace et le temps. La pierre rouge n’est pas un encombrant. Je la transporte, elle se déplace. Légère.

A propos de Stéphanie Buttay

L'écriture accompagne depuis toujours ma pratique du dessin et de la couture. Voire, elle les précède : création de livres d'artistes notamment avec l'ami poète Werner Lambersy. Représentée au Musée de la création Franche à Bègles et au Prieuré Saint Cosme pour le Livre pauvre, j'ai publié aux éditions du Carnet du dessert de lune et dans la revue Cabaret.

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