le téléphone posé sur la table, je voudrais l’avoir avec moi, même pour rien, même pour n’importe quoi, le prendre, le tenir à la main, dans la main, par la main, si bien qu’un jour ma main droite tombera, ou s’atrophiera, et ce sera pour tout le monde pareil, la droite ou la gauche, dont on n’aura plus besoin : à la place, il y aura le téléphone greffé au corps en circulation, jamais détaché, dissocié, jamais plus là, sur la table de la cuisine, l’étagère de l’entrée, la bibliothèque du couloir, la commode dans la chambre, le meuble laqué jaune du salon ou oublié enfoui perdu dans les coussins du canapé, ça n’existera plus ça, ça ça n’existera plus ; parfois je le place loin de moi, dix minutes ça dure et je ne triche pas, j’attends, je reste nez à nez avec lui dont je ne peux me détourner, il faudrait que je le range au fond d’un tiroir, ou d’un sac, hors de ma vue, au lieu de le convoiter, vouloir m’approcher, le toucher, qu’est-ce que je ne fais pas pendant que je pense à ça, qu’est-ce que je ne fais pas tant que je ne l’ai pas à la main, qu’est-ce que je ne ferai pas tant que je l’aurai dans la main car bientôt je l’aurai dans la main, le prendrai par la main comme un enfant pour ainsi dire, un enfant rien qu’à moi dont je m’occuperai, que je choierai, pour vérifier que tout va bien, que je compte pour quelqu’un, qu’on pense à moi, pour espérer quelque chose qui me reliera au dehors, un appel du grand monde, un signe d’amour quoi, ou même d’amitié, allez, ou d’intérêt si vous voulez, comme si ça ne suffisait pas que je sois moi, avec toutes mes choses à faire, à accomplir je pourrais dire, les belles années passent vite