Je trouve une barrette dans le couloir du centre commercial. Je la ramasse délicatement. A qui est-elle ? Je jette un oeil autour de moi. Pas de tête d’enfant à l’horizon, pas de chignon, personne à qui la tendre ou la rendre. La barrette se trouve dans ma main gauche. Je la déplie pour la regarder. Simple la barrette. Pas de couleur, pas de dentelé. En fer argenté, comme les danseuses aiment à porter. Je referme la main. Qu’en faire ? La déposer, mais où ? La mettre dans mes cheveux ? Non sans l’avoir lavée. Demander à faire une annonce dans les hauts parleurs pour retrouver la ou le propriétaire ? trop compliqué. Qui se précipiterait pour une barrette même pas colorée, même pas belle, alors que tout autour de moi, trônent des boutiques remplies de barrettes, chouchous et autres falbalas pour se déguiser ? Je la tiens dans ma main gauche parce que je suis gauchère mais je pourrai la prendre dans ma main droite, bien que je craigne d’en être un peu gênée. Comme un caillou qui serait d’un coup coincé dans ma chaussure ! Je la serre dans ma paume et sens les bouts entrer dans ma peau. Pas comme pour faire des trous et se faufiler dedans, non, mais en appuyant sur ma chair pour me faire sentir qu’elle existe. Je m’amuse à la faire glisser à l’aide de mes doigts sur ma peau creusée par les lignes de vie. Je peux même la coincer si je plie légèrement ma main et elle, reste là, au beau milieu à attendre. Va t’elle me parler ? Non, évidemment que non, une barrette ne parle pas mais peut-être pense t’elle ? Peut-être se demande t’elle qui je suis et ce que je vais en faire ? Peut-être a t’elle peur ? Et si je la jetais tout bonnement dans une de ces poubelles que l’on voit alignées le long des murs du couloir ? Si je la jetais comme une vulgaire barrette perdue ? Comme ça, ni vu, ni connu, pff, disparue la barrette. Elle ne pourrait pas crier au fond du sac puisqu’une barrette ne parle pas. Et de toute façon, qui l’entendrait dans le brouhaha ? Entre la musique et les rires des gens qui passent et repassent sans s’arrêter ? Qui ? Je me suis interrogée sur le fait de la donner à quelqu’un. Comme un geste, un cadeau. Tenez, une barrette pour vous. Mais gardez-là, je m’en fous de votre pauvre barrette, vous êtes folle, laissez-moi tranquille ! Oui, c’est probablement cela que l’on me dirait même si je l’offrais avec beaucoup d’amour. On me la rejetterait à la figure la barrette et mon coeur avec. Et peut-être qu’elle me cognerait ou me crèverait un oeil sans faire exprès. Mais je serai blessée et serai obligée de me fâcher après elle, de lui en vouloir et de m’en débarrasser. Et peut-être qu’il faudrait que je me plaigne, que je fasse une main courante contre elle. Il me faudrait tenir mon oeil et la barrette pleine de sang de mes deux mains. Il me faudrait tenter de trouver des hommes de l’ordre pour qu’ils cessent ce chaos. Mais où donc est la police dans un centre commercial de 1km2 de côté ? Et qui croirait à cette histoire de barrette qui m’attaque ? Je divague. Il me faut me calmer. Je contemple la barrette posée dans ma main et la fais lentement rouler, de haut en bas, comme une caresse. De ma main droite, je la touche, sans bruit, sans lui faire de mal. Est-ce que je me mets à lui chuchoter des mots ? Oui je pense que oui. Je rapproche ma bouche et je lui susurre des paroles douces et rassurantes. Ne t’inquiète pas, je ne vais pas t’abandonner, tu ne seras plus jamais seule, je suis là, je vais m’occuper de toi. Je crois bien qu’elle m’écoute. Je la sens devenir tendre et presque fondre. Mais c’est qu’elle me plait cette barrette ! Nous pourrions devenir amies. Ou je pourrai la coudre dans ma main. Comme un secret, un bijou. Personne ne le saurait. Il suffirait que je serre la main de quelqu’un pour qu’on la découvre. Ou bien je ne tendrai plus que ma main droite. Vous n’êtes plus gauchère ? Non, j’ai changé de côté. Ah ! Elle deviendrait ma face cachée. Vraiment ?
J’aime bien le glissement progressif d’une réalité banale à un soupçon de fantastique…
Bonjour Claudine, merci pour votre lecture et oui le fantastique semble souvent glisser dans mon écriture. J’aime cette sensation de quitter le réel par les mots, de me laisser emporter. A vous lire.
Un régal. La barrette prend vie au fil du texte dans sa relation avec la narratrice. Une barrette amie, attachante, j’adore.
Bravo
Merci Françoise pour votre regard. A bientôt.
Merci pour l’humour et le décalé poétique, j’aime beaucoup. gare à la barrette !
Merci Nolween d’être passée par chez moi. Bon dimanche.
.. Ah ces objets dit inanimés qui nous animent, nous bousculent, nous font grandir! Merci!
Tout à fait Eve, merci et à vous découvrir à mon tour.
(J’en ai mis du temps à venir lire ce texte…)
C’est magnifique Clarence, moi aussi j’aime beaucoup le glissement du quotidien banal à l’imaginaire échevelé.