J’ai mordu dans le pépin. Le pépin est arrivé là, dans ma bouche, surpris lui aussi je pense. Il a peut-être mordu ma bouche. Le pépin a peut-être mordu ma bouche et d’autres bouches que la mienne avant la mienne. Je n’étais pas en train de manger une pomme vous savez. Je la regardais, c’est tout. Je salivais peut-être en la regardant, ça oui. Je salivais et le pépin est tombé dans ma bouche. Je l’ai rattrapé de justesse par les dents, par la salive et j’ai cherché où le ranger. Peut-être sous ma langue, peut-être côté joues. Je ne sais plus. Mais je pense surtout que c’est le pépin qui a attrapé ma bouche et l’a retournée. Peut-être qu’il m’a retournée toute entière. Et j’ai regardé, c’est tout. Enfin, j’ai regardé un instant, mais après je me suis rattrapée à ma bouche et je l’ai remise à l’endroit. J’ai repris le contrôle sur le pépin. Je voulais l’expulser de ma bouche. Je l’ai calé entre mes dents, j’ai pris une grande inspiration, il me restait à pousser l’air et à desserrer mes dents. Mais j’ai arrêté, je pense. Et même si je n’ai pas réussi à expulser le pépin, je l’ai vu tomber. Ça oui. Et figurez-vous, je l’ai rattrapé parce que j’avais peur qu’il tombe. J’avais peur qu’il tombe hors de ma main. Et si je l’avais avalé, j’aurais eu peur qu’il tombe hors de mes intestins. C’est possible vous savez. Ou alors il se serait perdu dans mes intestins. Ça aurait été pire parce que je n’aurais plus eu aucun contrôle. Il se serait perdu et j’aurais perdu ma bouche, mes intestins, mon corps. Il ne resterait plus rien. Vous savez, s’il ne restait plus rien, ni le pépin, ni le corps, il ne serait plus possible de perdre le contrôle et de le reprendre de justesse par la salive, les mots, l’esclandre. Il ne serait plus possible de l’expulser hors de sa main. Il resterait peut-être le tutoiement de la peur, mais quelle langue pour s’en saisir ?
Quel retournement ! L’étrangeté du début suggère une légère inquiétude, et la peur s’invite à la fin.
Merci d’être venue par ici Laure. Je viens vous lire des les deux prochaines heures.
Beau texte, Annick ! Comme un mot banal met à nu le profond
Merci camarade !
On dirait un texte pour la 5. J’aime beaucoup être désarçonnée quand je lis. Merci Annick
Merci Gilda. Pas encore pris connaissance de la 5. Tentative d’avancer et de boucler la 4. Merci aussi pour nos échanges sur le groupe Facebook. J’arrive vous lire.
Entre concret et figuré, un texte épais et stratifié, à lire et relire, merci Annick.
Merci Anna. Ça me donne envie de travailler sur l’absurde cette proposition d’écriture.
Je passe vous lire dans la journée.
Oui oui l’absurde est souvent l’issue et le chemin pour porter la langue et le texte plus loin! Et pas que pour ce texte.
Vous avez raison… osons l’absurde, bousculons nos textes !