#anthologie #03 | Brosse-pomme de terre

J’ai trouvé dans un carton de déménagement une petite brosse d’environ sept centimètres qui ressemble en tous points, à une petite pomme de terre, en dehors des poils. Son corps est bosselé, ocre jaune, un peu sale par endroit, il reproduit jusqu’aux yeux qui précèdent la germination. Les poils sont encore blancs, mais ils ne sont plus droits. On peut tout de même toujours la poser à plat. Quand je l’ai trouvée, je l’ai mise dans la cuisine, près de l’évier, pas très loin du stock de pommes de terre. Je ne sais pas d’où elle vient, je ne me rappelle pas l’avoir achetée. Elle s’est décolorée par endroit. Le légume qu’elle imite ne laisse aucun doute sur la tautologie à laquelle elle invite. Et rend comique l’image qui en résulte : une fausse pomme de terre brossant le dos d’une vraie pomme de terre. Elle n’est pas faite pour être prise dans le creux de la main, mais pour être tenue à trois doigts, pouce, index et éventuellement majeur pour lui éviter de glisser. En la posant sur les poils, on imagine un devenir animal. J’ai eu envie de la faire avancer d’une chiquenaude avec l’index, comme on le ferait en poussant la carapace d’une tortue ou d’un gastéropode. En la prenant pleinement dans la paume, on la sent aussi devenir un projectile de taille idéale, mais le fait d’imiter une pomme de terre semble l’empêcher d’avoir d’autre fonction de brossage. Il faut se tordre l’esprit par exemple pour penser que l’on pourrait nettoyer ses chaussures avec. L’idée d’enlever de la terre sous ses ongles avec, même s’il s’agit de la même terre que celle du légume que l’on a retiré du jardin, répugne. Décrottage exclusif. Quelqu’un d’autre a pourtant dû le faire avant moi.