C’est arrivé par la poste comme une facture ou un courrier genre administratif, mais matelassé; et il n’y a jamais de bulles qui amortissent la bureaucratie. Par la poste c’est arrivé, tu t’es méfiée, ce n’est pas arrivé tout à fait, on l’a apporté, ça a sonné, tu as ouvert, tu as signé puisqu’il fallait signer, tu t’es dit : je ne reçois jamais rien d’autre qu’une facture, de la correspondance genre administrative, qu’est-ce qui m’arrive ? Il t’arrivait une gomme. Aussi anachronique que la poste, la gomme t’arrivait recommandée. Tu l’as regardé droit dans son caoutchouc prêt à gober du trait, le gars de la poste te regardait la regarder, tu lui as dit c’est bon maintenant c’est arrivé à bon port vous pouvez vous en aller, vous reviendrez m’apporter une facture, un courrier, des papiers genre utiles. Ta main tenait la gomme, soupesait sa forme alambiquée, sa matière fourbe ; tu avais eu d’autres gommes dans la main, dans l’axe de ton regard, au bord d’une réticence ou d’un remord, fourbe la paume savait reconnaître le mot et le sensation et l’idée. Mais cette gomme arrivée, recommandée par qui, arrivée dans ses bulles, cette gomme genre incongrue, sa forme épousait son fourbe. C’était quoi, tu l’a vu tout de suite c’était un Fuchs, un quoi ?, un Fuchs, pardon on va y arriver : un petit renard qui en allemand se dit Fuchs – Fuchs on l’imagine ruser, tandis que le renard ben bof. Tu t’es demandée c’est une gomme en forme de Fuchs ou c’est un Fuchs sous forme de gomme, il s’agirait de trancher, trancher dans le vif de la ruse que tu sentais arrivée par cet envoi, ce matin, cet envoi pas du tout officiel, ni prime d’assurance, ni gaz facturé ni relance d’abonnement gratuit à payer. Tu avais écrit vouloir ruser et voilà qu’on te prenait au mot, qu’on glissait une gomme-fuchs dans une enveloppe matelassée, dans le creux de ta main, dans le creux de ta bouche pourquoi pas, pour effacer des paroles à même la langue, les engloutir à ras du palais, les raboter derrière les dents jusqu’à former des grumeaux dans la salive. Tu recraches la gomme, il manque un bout d’oreille à la petite tête du petit renard, kleiner Fuchs tu la poses sur la table, elle laisse une empreinte rousse. Tu clignes des yeux sa forme est toujours là, son fourbe s’apprivoise, se clandestine, dessine le contour des lettres mortes pour faire de la place au vivace. Le mouvement sur tous les papiers à venir tu l’anticipes, tu passes des pactes, tu astuces des passages du plein vers le vide vers l’aéré. Tu fuchs à pleines mains maintenant, dans l’identique, le nauséeux, dans les grandes formules à tout faire, dans les slogans, dans l’administré de la phrase. Tous les jours, tu le vois venir, ça arrive, geste de Fuchs, élan furtif, tous les jours tu effaces dans le style comme on s’en va.
il y avait un gars qu’on surnommait comme ça, à l’internat du lycée de Poitiers en terminale !
J’espère que ça lui a porté chance dans la ruse! Merci pour tes passages!
Il est intriguant ce texte. On a envie de voir où il peut nous mener.
Merci pour votre lecture! Je rame encore pas mal à essayer de tisser des fils – même souterrains – entre les textes des différentes propositions. Moi aussi je cherche le chemin pour voir où il mène.