#anthologie #03 | chambre à air

Il y a ce toucher presque poisseux, cette odeur poissonneuse, ce bruit de friture lorsqu’on la déroule. Il y a cette angoisse que tout cela prenne plus longtemps que le temps dont on dispose . Il y a de l’énervement, de la chaleur, de la sueur sous les aisselles. Déjà, les doigts sont douloureux et sales. Je la gonfle à faux frais, je la vois se déployer, prendre son rond, je l’entends siffler. J’aurais pu colmater la dernière fois, j’aurais dû prendre le temps, mais j’ai préféré enrouler le serpent, le ceinturer d’un élastique et aller pédaler, sentir le vent . Et maintenant je me retrouve prisonnier d’une jungle de caoutchouc troué, qui siffle, qui souffle des bulles dans la bassine, qui susurre méchamment contre mon philtrum. Une chambre à air trouée n’a absolument aucune utilité mais contient un pouvoir désespérant énorme. Un trou noir qui aspire l’âme. Donc cet après-midi je cherche, j’entoure, je gratte, je vulcanise en espérant que ça colle, je panse les plaies, j’espère, je prends le temps. Puis il s’agit de loger la bête, de lui redonner une maison, comme ces mollusques qui rampent vers leur coquille. Faire attention à l’hernie qui rôde ; la sienne, la mienne. Je vois le boyau disparaître, centimètre après centimètre en même temps que grandit l’impression que je suis en train d’éroder mes empreintes digitales. Puis dans un grand craquement la voilà chez elle. Je l’espère hermétique. Je déverse la pression accumulée directement en elle. Puis je replie sa sœur, celle qui s’est vue éventrée par un bout de verre tout à l’heure. Je l’entortille. Je cache le corps.

A propos de François Tastet

J’ai trente-deux ans et j’enseigne les sciences naturelles à Paris. J’ai grandi dans la région bordelaise, près de l’océan. C’est la discipline de fer dont j'habille ma pratique de l’écriture qui apaise mes démons, règle mes journées et me fait voir le beau. Pour écrire, il me faut : lire, aller au cinéma, marcher seul loin de la ville et savoir mon corps capable de mouvements compliqués. Certains de mes textes ont été édités dans des revues à très petit tirage. Je brouillonne dans des cahiers d’écoliers dont on peut consulter certaines pages ici https://cahierdetravauxpratiques.notion.site/Cahier-de-travaux-pratiques-v-2-711e5b0ec46f45889271102f9b69e8e8.

2 commentaires à propos de “#anthologie #03 | chambre à air”

  1. Merci pour ce texte drôle avec ce qu’il faut de noirceur pour le rendre profond. Les assonances, les métaphores mettent en situation. Je ne suis pas cycliste, que veut dire « gonfler à faux frais »?

    • Merci pour la lecture Laure. Visser à faux frais signifie visser temporairement, juste pour maintenir une pièce en place le temps de bricoler et avant de visser pour de bon. Je ne pense pas que l’expression soit correcte pour gonfler, mais pourquoi pas après tout ?