Dans la pénombre, la chaleur était déjà montée. La chambre avait une seule fenêtre, les volets étaient fermés. Deux grands lits, deux chevets en bois foncé, deux lampes, deux petits lits disposés le long du mur. On y dormait à sept. Une malle de carton renforcé, vert foncé, avec des charnières, des poignées et des serrures en métal doré. Dedans se trouvait la robe de mariée de ma mère. Du linge de maison. Draps, serviettes, nappes, tissés, cousus, brodés à la main. Même sans tapis, le sol étouffait les pas, on pouvait se lever sans réveiller personne. La fenêtre donnait sur la rue Via Fontenuova. Il était rare d’entendre du bruit venant du dehors.
La porte donnait sur la pièce principale. Il fallait la traverser pour accéder à la cuisine. Longer la porte d’entrée en arc de cercle, précédée de trois petites marches qu’il fallait descendre pour sortir, encombrées de journaux, l’unique fenêtre qui donnait sur la rue Via Fonte Nuova elle aussi, avec ses volets fermés dont les jours suffisaient à éclairer la salle. Au centre, une grande table rectangulaire, des chaises, à gauche un canapé, à droite un grand buffet qui occupait tout le pan du mur. Au fond, la porte d’un balcon qui conduisait à la salle de bain et la porte d’une autre chambre, celle des grands parents.
La cuisine avait elle aussi une fenêtre qui s’ouvrait sur la Via Fonte Nuova. Les panneaux de bois étaient fermés eux aussi. Sur le rebord, un napperon au crochet, un pot contenant une paire de ciseau, de la ficelle et un tournevis. Une plante en pot.
En face une porte arrière.
à sa gauche, un grand plan de travail, un évier en marbre gris. Pour l’eau, un tuyau relié à la fontaine à l’extérieur dans la rue, on l’appelait la fontanella. Une marmite encastrée, chauffée au bois. Une gazinière.
Les murs étaient peints en jaune. A cause de la cheminée, des feux, ils avaient un peu noirci.
La cheminée était au fond. Elle servait à chauffer et à cuisiner. On était en été, elle était éteinte. En hiver, je l’aurais entendue crépiter. J’aurais guetté les étincelles. J’aurais appris à faire un feu de bois. Là, dans la cuisine assombrie par la nuit de décembre, où le brouillard masquait les montagnes, où le froid étouffait les voix, où la neige recouvrait les ruisseaux, et la glace, les fontaines.
Mon grand-père était assis. La cuisine n’était pas éclairée. Il portait son chapeau noir en feutre. Il était usé. Les bord étaient recourbés. Il portait son chapeau noir en feutre un peu en arrière. Son visage était tout ridé. Dans le noir, ça ne se voyait presque pas. Il portait toujours une chemise blanche. Il la gardait ouverte jusqu’au deuxième bouton. Le col était bien plié. Un gilet noir boutonné. Une veste noire. Il restait assis dans la cuisine. Ou sur le canapé. Ou sur les marches extérieures en été. Il avait du mal à marcher depuis son accident. Il conduisait l’âne en rentrant des champs. Son âne, je l’avais déjà vu. J’étais montée dessus. Je l’avais caressé dans l’étable. Je crois qu’il l’appelait Moschetta; je ne suis pas sûre. Il s’était emballé. Giovanni avait tenté de le maîtriser. L’âne l’avait renversé, les roues de la charrette lui avaient roulé dessus et lui avaient brisé les jambes.
Ça sentait bon le café. Je n’avais pas entendu la moka crépiter sur le gaz. Son bol était encore plein. Un grand bol en céramique. Sur la table, il y avait du pain, du fromage de brebis. Il me dit : “Tu veux du fromage ?” Je dis “Oui”. Quand il me le tendit, je vis que c’était du marcietto grouillant d’asticots blancs. Je le reposai sur la table sans le manger. Il y avait une carafe d’eau, un napperon, une pile d’assiette, deux verres.
Quand on demandait ce qu’on mange ce soir, il répondait : “De l’âne écorché”.