Il regarde le chat. Le chat est dans le Bureau, il est dans le Bureau. Bureau pour la pièce, Bureau aussi pour la table sur laquelle il écrit, une grande planche posée sur des tréteaux invisible, une planche de bois clair. Elle est vaste et elle est recouverte principalement de papiers. Le désordre est modéré. On voit encore la couleur claire du bois. Il y a des lettres, il y a des livres ouverts, il y a des feuilles de notes, il y a des feuilles imprimées, il y a des invitations, il y a des demandes, il y a des notes, il y a un ordinateur : un parallélépipède petit par rapport à la surface de la table et un écran et cet écran est maintenant éteint. Il est gris sombre. Il y a aussi un clavier, pas un clavier de musique. Il ne parle pas de la musique, il ne parle jamais de la musique, il ne s’aventure pas dans la musique. C’est un clavier où écrire, un clavier où chacune des touches représente une ou plusieurs lettres et des signes typographiques. C’est sa grande affaire, l’écriture. C’est sa grande affaire, celle de l’écriture. Devant, au-delà de l’ordinateur, il y a de l’espace. Ce n’est pas une pièce où le Bureau est contre le mur ou devant une fenêtre, l’aisance règne et permet de très longs développements. On peut circuler autour de lui, une caméra pourrait tracer un cercle, une photographe essayer tous les angles de cadrage. Un grand Bureau dans une grande pièce. Au-delà de l’espace qui est au-delà du Bureau, pour le regard de celui qui est assis devant le Bureau, une baie vitrée, une ouverture sur le dehors, une ouverture presque invisible, mais qui pourtant a son cadre et il regarde le cadre en même temps qu’il regarde le dehors et en même temps qu’il regarde le dedans et au-delà. La vitre n’est pas absolument transparente. Elle déforme, elle éloigne et rapproche, et par son cadre même, modifie le dehors, dans ce que le dehors n’est pas complètement à portée de l’œil. Ce dehors, c’est d’abord de l’herbe, modérément laissée à elle-même, modérément pelouse. Encore en avant, une autre table, mais ce n’est pas un bureau, c’est une table pour jouer à deux. On se renvoie la balle, une balle très légère, blanche, très légère, avec deux raquettes. Cela n’a rien à voir avec ce qu’il écrit en lisant des textes. Et puis un arbre. On ne sait pas le nom de l’arbre. Est-ce qu’il y a des noms d’arbres dans ce qu’il écrit ? C’est un jardin en fait, un jardin à l’abandon, un jardin quelconque, lui qui honnit plus que tout le quelconque. On ne sait pas s’il fait glisser le panneau de verre pour sortir, pour aller marcher dans l’herbe, pour aller jouer au ping-pong, pour penser dehors, ou bien s’il reste devant cette image. À droite de la baie vitrée, à angle droit, on devine un pan de mur, mais il est recouvert par des étagères, on dit aussi bibliothèque, même si c’est une bibliothèque sans livre, des étagères blanches, des étagères neutres, des étagères de bureau, pas des étagères de lettré ou d’amoureux de livres. Elles sont remplies de dossiers, de cartons contenant des feuilles de papier, des dossiers : des correspondances, des copies, des mémoires, des devoirs, des invitations, des manuscrits. C’est l’archive comme en ont les cadastres ou les polices. Un nouvel angle droit. C’est ici une bibliothèque. Un ensemble de livres avec un classement par matière, par auteur, des livres de pensée et de sérieux. Il y a aussi des objets devant les livres. Il y a des cartes postales, certaines sont des images que vous connaissez déjà, celles des maîtres. Punaisées sur la tranche d’une étagère, des photos, sans couleur, floues, petites. Il semble heureux sur les photos, il a plus de cheveux que maintenant, il est à côté d’enfants, nés presque. Il ne regarde pas l’enfant, mais l’œil qui le photographie, il regarde le regard de celui qui le regarde. Le chat le regarde, hors du langage. Du quatrième pan de mur, rien ne sera dit.
Un commentaire à propos de “#anthologie #02 | Le Bureau au chat différant”
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J’aime beaucoup la mise en abîme du regard regardant le regard (rappelle récent atelier du mardi avec Duras), et surtout hors langage humain.