#02 / La maison cathédrale
Le paravent de papier de soie blanc encastré dans une ruche de petits rectangles de bois clair sur six panneaux est déplié en partie sur le parquet de même teinte. Cette cloison amovible qui sépare la chambre du salon est cependant comme raide et stoïque, de guingois adossée à la grande bibliothèque qui s’élève jusqu’au plafond de cette maison cathédrale.
Cette paroi mobile définit l’espace de la chambre, du salon et de l’atelier.
Derrière le paravent, le lit est recouvert d’un drap aux motifs persans et flanqué d’oreillers dépareillés.
Du salon, sur le canapé, on est en face de ce lit que l’on devine derrière le paravent, et on peut apercevoir les deux pieds qui dépassent du drap aux fleurs rouges et vertes.
En s’approchant on voit nettement à présent l’homme, enfoncé dans les coussins près de la table de chevet étroite jouxtant un miroir en pied dans l’angle du mur.
Il regarde le plafond, y cherchant un signe pour résoudre son équation d’être au monde.
Dans le miroir bon marché de plastique gris, se reflète la lampe en bois sculpté et peinte en blanc, composée d’un abat-jour en coton, blanc, lui aussi, et surmonté d’un foulard aux couleurs chaudes. L’homme se repose, allongé sur le dos, un bras sous sa nuque. Sur le mur qui longe le lit, des dessins encadrés et sur l’un d’eux, une étoile de mer séchée qui vient rompre la planitude du dit mur. Plus loin, sur deux autres cadres, le même procédé : deux petits fétiches tiennent en équilibre, donnant ainsi du relief à ce mur blanc sale qui par ailleurs est fendillé près du sol et dont la peinture s’écaille à cause de l’humidité. Du salon, on assiste à cela : aux deux grands pieds statiques de l’homme qui nous invite à reconsidérer le corps au regard de la sculpture mortuaire.
On croirait un défunt embaumé attendant son dernier voyage.
On croirait, à ses yeux fermés, dans son sommeil profond et sans mouvement, qu’il meurt à chaque seconde.
Sur le mur, une peinture lui fait face : un personnage en train de creuser un trou, avec sur sa tête, une sorte de bonnet blanc. Comme pour dire, c’est l’heure. La grande heure : celle qui éteint tous les jours et toutes les nuits.
Et, sous la moiteur d’août, l’homme pourrait bouger ces pieds ostentatoires, mais non…
Le ventilateur, près du lit côté bibliothèque, ronronne son credo métronomique, soufflant fort comme le vent d’autan.
La barbe de l’homme s’agite en de petites spirales quand les paupières, elles, ne frémissent à aucun instant, refermées qu’elles sont sur ses songes.
Et il y a aussi ce petit bureau où sont amoncelés des objets : un masque du Congo, en bois et paille, des boites empilées, un flacon de parfum, un coquillage aux allures monstrueuses, d’où l’on s’attend à voir surgir un animal marin, tout étonné de se retrouver là. Dans un cabinet de curiosités. Rêche, gros et difforme, il est posé près d’un fin personnage en bronze qui se balance sur un socle composé de trois caïmans, sans jamais perdre ni l’équilibre, ni la cadence, toc toc toc, de droite à gauche et d’avant en arrière, contrariant avec élégance l’immobilisme de l’homme que la mort vient d’attraper.