#anthologie #02 I Volutes

Elle s’octroierait une pause dans son ménage quotidien, le temps que les sols sèchent. Assise dans un fauteuil en skaï marron recouvert d’une taie en crochet, elle allumerait sa deuxième cigarette de la matinée. Elle en savourerait la première bouffée en la retenant longuement dans sa cage thoracique puis l’expulserait en un long jet immédiatement happé par un courant d’air venant d’une porte ouverte à sa droite qui donne sur un couloir sombre où s’interrompt, fixé au sol par une barre de seuil métallique, le linoléum beige du salon. Un guéridon étroit supportant une plante verte à grosses feuilles. Une seconde porte, tapissée d’un papier peint à motifs fleuris, ouvre sur un placard où un téléphone en bakélite grise, où l’annuaire de la Saône-et-Loire, où quelques bouteilles d’apéritif. Une troisième porte, donnant sur un petit perron, est occultée par un rideau anti-insecte constitué de lanières torsadées en PVC de couleur orange. Au centre de la pièce, une table en bois massif recouverte d’une nappe bulgomme rouge. Six chaises autour de la table. Les dossiers sont en bois vernis. Un voilage de percale légèrement jauni devant une porte-fenêtre. Dans l’angle, l’écran éteint d’une télévision. Posés sur des napperons : une figurine de chat incrustée de coquillages, un petit panier de fruits en céramique. Un buffet en bois dont les portes représentent des cervidés buvant à la rivière. D’autres bibelots, plus nombreux, posés dessus, dont : une corbeille en céramique contenant des coupures de journaux, un âne tirant charrette, une poupée alsacienne. Au mur, une reproduction de l’Angelus de Millet réalisée au crochet. Un deuxième fauteuil en skaï marron sans appui-tête, une table basse où sont posés une télécommande ainsi qu’une pile de magazines : télé 7 jours, Paris-Match. Les volutes de fumée seraient en suspension dans le salon. Elle écraserait son mégot en soupirant puis se lèverait pour aller préparer son repas de midi.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).