Elle serait assise sur le bord d’un tabouret de bar en chêne massif. Sa robe en lin beige laisserait apercevoir ses chevilles. Les muscles de sa jambe gauche seraient tendus et lui permettrait de toucher le carrelage du bout de ses orteils recouverts d’un vernis à ongles gris foncé. L’autre jambe serait relâchée et balancerait dans le vide, frôlant parfois le pied du tabouret sur lequel on apercevrait des imperfections. Elle ferait face à la fenêtre ouverte qui refléterait une partie du paysage extérieur : un ciel gris-blanc et quelques toits aux tuiles foncées d’une rue composée de maisons en rangée toutes similaires, de deux bâtiments à appartements et studios et, perdue au milieu, d’une librairie où acheter le journal. Elle entendrait le chant des oiseaux. C’est ce qui l’aurait poussée à s’installer là plutôt que dans un autre coin de son studio, plus à l’abri des regards. Elle essayerait de siffler, ferait sortir de sa bouche de grosses bouffées d’air et parfois un bref son aigu qui perdrait en vigueur lorsqu’elle bougerait ses lèvres pour essayer de s’améliorer. Elle penserait que les oiseaux seraient réceptifs à ses efforts.
On partirait de cette fenêtre, format carré, vitrage recouvert de traces de poussière. Elle grincerait parfois. Sur le rebord, il y aurait un pot de menthe fraîche et la photo d’une femme dans un cadre en métal. On en déduirait qu’il s’agirait de sa grand-mère maternelle pour laquelle elle aurait une affection particulière. Sous la fenêtre on remarquerait un radiateur d’appoint à proximité d’une prise électrique. On glisserait alors vers la gauche, le long du papier peint à motif géométrique que le précédent locataire se serait engagé à changer avant qu’elle emménage et ne l’aurait pas fait. On distinguerait un crochet sur lequel pendrait un essuie-vaisselle couleur vert garrigue. À proximité, le coin cuisine se composerait d’un frigo de table sur lequel reposerait une taque électrique et sur laquelle resterait, en permanence, une cocotte en fonte Le Creuzet – faute de place pour la ranger ailleurs –, et vous noterez qu’il s’agirait là de l’unique objet de valeur de ce studio. Sur le plan de travail, on trouverait un micro-ondes basique, une planche à découper en plastique jaune, un sachet de curcuma moulu, une cagette avec des oignons, des poivrons et des tomates ainsi qu’une cafetière, un sachet de café moulu goût moka et quelques filtres à café en papier. Juste à côté, dans l’évier, on repérerait une tâche de rouille. Rien de dérangeant. Elle daterait de l’ancien locataire. Entre la cuisine et la penderie dans laquelle se mélangeraient la vaisselle, les vêtements et quelques jeux de société, il y aurait un espace composé d’une planche posée sur deux tréteaux qui lui servirait pour cuisiner, lire et travailler. On remarquerait d’ailleurs une pile de documents entassés les uns sur les autres à côté d’un cendrier vide acheté dans une brocante. Elle ne fumerait pas. On supposerait alors qu’il s’agirait d’un objet de décoration comme le seraient les quelques figurines entassées dans une boîte à chaussures posée au pied d’un des tréteaux. Un peu plus loin, on verrait un lit d’une personne sur lequel se juxtaposeraient des couvertures chaudes ainsi qu’une pile de linge qui ne rentrerait pas dans la penderie et qu’elle déplacerait régulièrement du lit à la table, parfois en laissant s’échapper un soupir. Sur la table de nuit un tourne-disque prendrait toute la place et une lampe murale, juste au-dessus, offrirait une ambiance tamisée la nuit et compléterait la lumière du jour par temps maussade. Il n’y aurait pas de coin salon. Au plafond, la peinture blanche s’écaillerait par endroits, et un attrape-rêves fait main avec du fil nylon, quelques brindilles de bois et des plumes ramassées dans un bois réveillerait parfois des souvenirs. On trouverait un W.C. et une douche sur le palier, réservés aux deux locataires de ce dernier étage.
Quelqu’un aurait frappé à sa porte, elle s’en étonnerait. Elle s’éloignerait de son tabouret, des oiseaux, de l’odeur du poulet rôti qui s’échapperait d’un appartement, de celle du plastique brûlé, du jingle d’un jeu télévisé, des encouragements d’un père qui apprendrait à sa fille à rouler à vélo et du ciel qui commencerait à s’éclaircir. Elle marcherait sans faire de bruit pour ne pas être entendue, regarderait par le judas de sa porte et déciderait de ne pas ouvrir.
tout est en place
on attend la suite 🙂
Merci Philippe.
Je vois que tu tiens le rythme quotidien. Respect !
Bonne soirée.
n’aurais jamais imaginé cette potentialité du conditionnel sans ces textes… suis sûr qu’on peut s’en servir aussi en FLE…
Ce conditionnel, au début, on doute un peu, puis c’est parti.
Oui, en FLE, ce serait une proposition d’écriture intéressante, en effet.
Merci pour tes commentaires depuis le début. Ca booste.
Bonne soirée.
Entrée par effraction, derrière le judas ou carrément par la fenêtre ! Merci Annick pour ce texte si dense, j’y étais ! J’aime ton « installation », la mise en scène avant le tour du lieu, ces deux interruptions (j’en note deux) à la négative : « Elle ne fumerait pas » et « Il n’y aurait pas de coin salon ». Bravo, à bientôt !
Marlen,
Tu as l’art de mettre en valeur les textes des autres par tes commentaires.
Merci, c’est précieux.
Bonne soirée.
Très beau texte ! déjà le titre est formidable… j’aime beaucoup cette tension qui s’instaure dans le premier paragraphe (avec la tension du corps, des muscles de la jambe), puis la sensation d’une caméra qui ferait le tour de la pièce en s’attachant à chaque détail et enfin la tension renaît à la fin avec les coups sur la porte et sa décision de ne pas ouvrir… oui, on attend la suite !
Merci pour cette lecture attentive, vos mots Muriel.
Belle scène maîtrisé de bout en bout.
Je ne peux pas m’empêcher au premier chapitre des Choses de Perec avec la longue description de l’appartement au conditionnel avant que le récit ne débute au passé.
Cela veut dire que l’on aimerait que le texte continue.
Merci Tristan, ta présence, toujours, tes mots, aussi.