#anthologie #02 | danse – salle de spectacle un soir de première

Musique de Pierre Boulez, Sur incises, pianos, harpes et percussions-claviers.

Elle serait assise sur un bloc de pierre blanche, les pointes de pied sur le sol, la tête penchée en avant et les bras dans le dos tendus vers le ciel. Elle aurait les cheveux retenus dans un chignon serré qui n’en laisse dépasser aucun, les muscles noués du dos contenus dans une mer agitée. Elle aurait les yeux fermés, soulèverait lentement ses paupières et dans une fente, verrait le côté gauche d’une salle remplie de spectateurs.

Avant-scène, parquet de bois, projecteurs aveuglants
Lui, troisième rang près de l’allée latérale à gauche. Chemise bleue cheveux courts bruns lèvres pincées bras croisés dos droit le regard figé les yeux grands ouverts.
Siège vide, quatrième rang. Dos du fauteuil en velours rouge accoudoirs en bois foncé veste sombre posée sur l’assise.
Lui, huitième rang, vue centrale de la scène légèrement par la droite. Chemise blanche col cassé nœud papillon noir veste noire fine moustache crâne dégarni. Regarde sa montre. Dix heures cinquante deux. Montre de luxe bracelet de cuir marron. Cadran bleu guichet avec la date et la phase de la lune poussoir chronographe cristal saphir sous-cadran alarme boîtier platine.
Lustre, central, au-dessus. Volumineux cent dix-huit ampoules.
Elle, vingt-cinquième rang plein centre. Le reflet de la lumière sur les verres de ses lunettes clignote dans l’obscurité anonyme du fond de la salle.
Elle, sixième rang, à droite. Robe légère à fleurs tresse unique tombant sur le devant de son épaule gauche adolescente sourire mains l’une dans l’autre devant son buste comme une prière. 
Lui, premier rang sur le côté droit de la salle. Veste de costume sombre élimée au col chemise blanche gilet lunettes pliées dans la poche supérieure peau sombre yeux fermés souffle régulier.
Contre le mur droit, une grande applique en bois représentant un dauphin.
Rideaux verticaux repliés se perdant dans la hauteur de la salle.
Côté jardin, une chaise vide une jeune femme avec un casque-micro sur la tête une bouteille d’eau posée par terre un homme vêtu de noir accroupi.
Décor, voilages blancs ondulants sous l’effet d’un ventilateur caché derrière un bloc en pierre blanche. Un film est projeté représentant d’immenses vagues explosant sur une jetée gerbes d’écumes. Un mannequin habillé d’un costume rouge vif est disposé au fond de la scène.
Côté cour, une table deux hommes en noir debout les bras croisés une dame la soixantaine agitant les bras en l’air un pupitre avec une partition posée dessus.
Rideaux verticaux repliés se perdant dans la hauteur de la salle.

Elle serait en train de courir dans la diagonale de la scène au moment où deux autres danseurs surgiraient devant elle les mains pointées vers le ciel. Elle s’écroulerait et les deux autres feraient des bonds autour d’elle avant de se figer sur un roulement de caisse claire. 

Une harpe jette son voile de notes de musique. 

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

6 commentaires à propos de “#anthologie #02 | danse – salle de spectacle un soir de première”

  1. J’aime beaucoup les phrases nominales décrivant les spectateurs alors qu’on s’attend dès le premier « lui » à un récit (malgré notre proposition) Tous ces personnages me semblent attendre en quelque sorte que l’histoire se déroule sur scène et hors de scène, du moins le lecteur y est préparé ! Et merci pour ce cadre musique danseuse spectateurs danseuse musique, le son donc, comme première et dernière image de la boucle. Merci.

  2. Vraiment intéressant le déroulé de « Elle » et de « Lui ». Une ronde figée ; j’ai vu des personnages comme sortis de certains tableaux de Hopper (… ces personnes qui semblent toujours seules dans les salles de spectacle, ou à leurs abords, seules mêmes lorsqu’il y en a plusieurs).

  3. J’ai été sensible à cette traversée de scène à la fin du mouvement de caméra. Étonnant. Merci Jean-Kuc

  4. Quelle salle, quel parterre ! On attendrait que le rideau se lève, action.