#anthologie #02 | dans la cuisine d’en-bas

Dans la cuisine d’en bas, assise sur le banc, la grand-mère lirait La Liberté à la page des avis mortuaires : des lunettes glissant sur le nez, avec derrière elle les lames de la paroi de bois, un tableau, une jeune filles, des grains de blé tombés de sa main blanche, les huit poules qui picorent, l’enfant un pied par terre un pied sur le banc, son regard fatigué, des fleurs à la fenêtre, le tableau d’un vieil homme une plume à la bouche lisant une lettre un bonnet sur la tête, une bougie éteinte, un encrier, L’écrivain public d’Albert Anker. Sur le mur, la pendule indiquerait neuf heures et demie : un chausson de carton, un crayon papier, un stylo à bille, une paire de ciseaux, deux aiguilles à tricoter, une pelote de laine jaune, un rouleau de scotch ; sur le potager mijoterait un ragoût : la hotte, la spatule dépassant du fait-tout à demi couvert, la fenêtre, la vigne, la vue sur le jardin, les haricots à perche, des buches de sapin entassées sous la fenêtre, un tas de buchettes, une hache, la baratte à beurre, un tabouret à trois pieds, une patte à vaisselle posée sur le robinet qui goutte, un égouttoir, deux tasses, deux assiettes, une cuillère à soupe, un pot de porcelaine, une passoire ; le buffet aurait été repeint en beige, il serait resté ouvert : un vase, une toupine de saindoux, une lèchefrite, une marmite, une machine à dénoyauter les cerises, une radio cassette, la boîte avec le sourire de Bourvil, celle avec Tino Rossi, celle avec une montagne et des vaches, un cendrier vide, parce qu’on aurait cessé de fumer depuis que le grand-père… Dans le réduit traineraient un balai de riz, une ramassoir, dix kilos de sucre, des boîtes de ravioli, des paquets rayés jaune et bleu de chicorée, un bidon pour les cendres, une poubelle, la pile de journaux, Le Républicain, L’Illustré, L’Echo Magazine, le bulletin de paroisse, un papillon pour le loto de la société de gymnastique, un jambon à chaque carton, le calendrier des cultures, un crucifix, la grand-mère assise à la table qui lirait La Liberté à la page de la météo.

A propos de Vincent Francey

Enseignant, chanteur et clarinettiste amateur, je vis dans la région de Fribourg, en Suisse, et suis passionné de lecture et d'écriture depuis toujours, notamment via mon site a href="https://www.lie-tes-ratures.com/">lie tes ratures mais aussi sur un blog né à la suite de l'atelier d'été sur la ville : fribourgs.com. Auteur d'un livre autoédité, Je de mots, dictionnaire intime, je suis également présent sur YouTube pour, entre autres expérimentations, y parler de mes lectures.

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