Le couloir est long. Le couloir est empli de vitrines. Le couloir luit sous un plafond de néons. Le couloir est musical. Le couloir est la frontière entre les deux côtés. Le couloir est l’entrée de toutes les portes. Le couloir ne vend rien, ne propose rien. Le couloir et ses quelques banquettes dans lesquelles, on peut se vautrer en cas de nécessité absolue, dans lesquelles, éreintés, les femmes et les hommes peuvent allonger leurs jambes entourées de leurs sacs d’achats compulsifs ou réfléchis. Le couloir peut être parcouru de gauche à droite ou le contraire. Le couloir peut se prendre lentement ou rapidement. Il n’y a pas de raison de rester à traîner dans le couloir, mais la tentation est grande.
Ce jour-là, le couloir serait presque vide. Il n’y aurait que quelques pauvres âmes qui errent, ici ou là, ne sachant pas où diriger leurs pas. Il n’y aurait que quelques pauvres âmes en peine venus perdre du temps dans ce carré de 1km2 de côté. Il n’y aurait que quelques silhouettes qui seraient là à poser leurs regards furtifs sur les vêtements, panneaux d’affichages de promotion et mannequins exposés. Un couple de parents traînant un enfant morne, trois adolescentes rivées sur leurs écrans, un homme mal habillé doté d’un pantalon orange élimé et d’un chapeau vert trop grand. Ils n’auraient pas d’argent, pas d’envie, pas d’énergie, traversant le couloir, sans vie. Ils se demanderaient pourquoi ils auraient atterris là, en ce jour gris. Ils se demanderaient s’il ne vaudrait mieux pas reprendre leurs véhicules et repartir. Ils seraient comme vidés de leurs sens, absorbés dans leurs solitudes, éteints.
Le couloir est long. Le couloir peut être traversé dans un sens comme dans un autre. Le couloir mène partout ou nulle part, il tourne en rond.
L’enfant, soudain, s’arrêterait en plein milieu et s’écrierait je veux ce jouet. L’enfant s’écrierait, réveillant ses parents qui regarderaient, de part et d’autre pour découvrir dans une vitrine éclairée, une petite voiture télécommandée rouge vif, qui semblerait les appeler de ses phares allumés. S’il vous plait, s’il vous plait. L’enfant supplierait et les adolescentes qui auraient quitté leurs téléphones, riraient devant l’embarras des parents. Les adolescentes, ragaillardies, entreraient dans une boutique de maquillage où devant des miroirs, elles danseraient en contemplant leurs lèvres rougies. L’homme mal habillé s’arrêterait devant des costumes, étudierait les prix, réfléchirait et entrerait. Les parents achèteraient la petite voiture rouge vif et ressortiraient avec leur petit, ravi. L’homme tout chic saluerait les adolescentes de son nouveau chapeau bleu. Celles-ci lui répondraient et s’éloigneraient, en courant. Il y aurait d’autres femmes et des hommes qui arriveraient.
Le couloir dans un sursaut s’anime. Le couloir s’envahit de voix. Le couloir est rempli de pas, de va et vient, d’allers et retours, de trépignements, d’hésitations et d’enjambées. Le couloir est noir de monde. Le couloir est bruyant. Le couloir duquel on ne peut plus rien voir.
Les gens entreraient et sortiraient, avec ou sans sacs. Les gens téléphoneraient : mais tu es où ? se parleraient : j’ai faim, on se rejoint au Mc Do. Tu as vu les chaussures que je viens de me trouver. Elles sont trop bien ! se disputeraient : Maman, pourquoi tu lui as pris cette robe et pas à moi. Mais je ne l’aime pas la jupe, je veux une robe. Armand, cela suffit, allons nous en il y a trop de monde, Armand vous m’écoutez ? Peux tu dire à ton père que je vais aller m’assoir chez Paul pour prendre un café. Non, on ne va pas chez Apple. Non je ne t’achète pas un IPAD. Avec ton argent ? Et bien fais ce que tu veux, je m’en fiche se regarderaient : on est bien là, oui c’est cool.
Le couloir est vivant. Le couloir grouille. Le couloir est un cadeau. Le couloir est l’ouverture vers tous les possibles. Le couloir dont on ne perçoit que quelques murs caché par les devantures des magasins. Le couloir percé par des allées qui vont aux toilettes ou au distributeur de billets. Le couloir qui attrape les bruits et les enferme. Le couloir duquel on rêve.
Les gens achèteraient, flâneraient ou mangeraient Mc Do, Thai, Flunch, Hippopotamus, Paradis du Fruit, se lèveraient et repartiraient. Cet homme tout chic tâterait ses poches pour y retrouver ses clés de voitures, les adolescentes, épuisées, appelleraient chez elles pour que l’on vienne les chercher et les parents s’en iraient, main dans la main, avec leur enfant.
Le couloir se vide. Le couloir et son flux ralentit. Les portes se referment. Les mannequins sont rangés. Les lumières s’éteignent.
Les vendeuses et les vendeurs affublés de leurs vestes, sacs à mains, se feraient la bise à demain, tu commences à quelle heure ? Ah tu n’es pas là ? Ok on se voit mercredi. On ira déjeuner au Burger King ? oui carrément. Allez salut. Tu m’appelles pour ce soir. Je t’aime, à tout à l’heure. Les vendeuses et les vendeurs s’en iraient. Les responsables des boutiques passeraient un dernier coup de fil, regarderaient la recette du jour et descendraient le store grillagé.
Le couloir se désertifie. Le couloir devient silencieux. Le couloir est tamisé. Le couloir est mystérieux. Le couloir est presque beau. Le couloir donne envie de s’assoir sur une des banquettes et de fermer les yeux.
Une femme entrerait. Puis, un homme. Tous deux seraient habillés de bleus. Le dos un peu courbé. Ils tireraient devant et derrière eux, un chariot empli d’eau, un balai et un aspirateur qu’ils déposeraient contre un des murs du couloir. Ils attraperaient leurs ustensiles et frotteraient, aspireraient, feraient glisser les objets ménagers. Leurs pas suivraient le rythme des machines. Ils se croiseraient. Se souriraient. Petit mouvement de tête. Ils tourneraient, retourneraient sur eux-mêmes. Ils nettoieraient les papiers, les tâches de gras, les sacs Zara abandonnés. Ils ramasseraient une bague perdue, une clef et parfois un billet tombé d’une poche. Ils s’occuperaient des toilettes, des banquettes et feraient disparaître les saletés de la journée. Ils rangeraient le tout dans des pièces dissimulées. Ils se serreraient la main. Ou marcheraient côté à côte. à demain. Oui tu viens à 20h. Oui c’est ça 20h. Tes enfants ça va ? oui. Et à l’école ça va. Oui le plus petit a un peu de mal mais il travaille. Ah c’est bien ça. Oui c’est bien. et ton dos ? J’ai mal mais je m’habitue. Bon, à demain. Oui.
Les sorties de secours clignotent. Le couloir se repose dans le noir.
un long travelling, ce couloir. Bonne journée.
Merci Geneviève à bientôt.
Il se passe des choses tout au long du couloir. Et le couloir s’anime. Elle couloir devient vivant.
Merci Stéphanie, à vous lire vite. Bonne journée.
Happée par ton couloir « public » quand le mien est « privé ». La vie au conditionnel : ça grouille et ça fuse de toutes parts.
Merci Cécile pour tes mots, à te lire. Bien à toi.
Oui, ce couloir est public, contrairement au mien, c’est un lieu de passage, parfois d’un vide étonnant et puis plein d’animation et d’agitation, la consommation prime, mais il y a aussi les rencontres…et à la fin, bien trouvé, l’équipe de ménage qui clôt la journée. Progression chouette, j’ai suivi, Merci.
Une série de saynètes dans ce couloir ! Bien vu, une écriture qui appelle à aller au bout de la lecture. Le clin d’œil au texte précédent… Merci !