à travers ses paupières mi-closes, elle se voit dans le miroir en tournant la tête sur le côté depuis le lit placé au centre de la pièce, c’est original un lit placé comme ça, loin des murs comme une table, elle ferme les yeux, elle se verrait alors depuis le miroir, elle se verrait en plein milieu des lieux, posée sur un lit , à droite du lit, une table de nuit encombrée, boîtes de médicaments 1. Doliprane 2. Anxiolytiques 3. Antihistaminiques 4. Somnifères 5. Antihypertenseurs 6. Spray nasal 7. Ventoline, en vrac, les notices sorties des boîtes posées encore pliées entre un téléphone, une lampe de chevet, deux carnets, un cahier, un crayon de papier, un taille-crayon, un tube de baume à lèvres, une trousse ouverte avec dedans des feutres, une réglette métallique, une paire de ciseaux à bouts ronds, un coupe-ongles, deux-trois stylos dont un quatre couleurs bic, un paquet de Kleenex neuf, un autre entamé, une pierre venue d’on ne sait où, un réveil matin, un chargeur de téléphone, quelques pièces, un chargeur d’ordinateur, un casque sans fil, elle est pourtant petite la table de nuit, au pied de la table de nuit, il y aurait l’ordinateur presque déchargé, et des bouquins, un Kafka, un Auster, un DeLillo, L’âge de la première passe de Bertina, un Crumley, un Crew, un London, Le ravissement de Lol V. Stein, un Vinau, un Sautière, un Chaton, un Rongier, un Crouzet, celui sur son père, le tueur, Hommage à la Catalogne d’Orwell, Rimbaud le fils, 2666, tout ceci est bien disparate, sous le lit il y a aussi un Glissant, en passant derrière le lit, on voit sur le mur la trace d’un crucifix sur le papier peint jaune, le crucifix aurait été retiré quand elle a pris la chambre, à gauche du stigmate de l’homme crucifié, il y a une armoire qui serait à moitié vide, à l’intérieur quelques sous-vêtements, des tee-shirts, deux jeans, un pull, un bonnet, un short, rien de plus, tout pourrait tenir dans une petite valise, l’armoire indiquerait un séjour bref, une halte provisoire, sur l’autre mur, en vis-vis du miroir, le lit se reflèterait dans une porte-fenêtre, et il verrait son corps sur le lit et, derrière, le miroir qui reflèterait aussi la fenêtre, elle pourrait se regarder ainsi, alternativement depuis la fenêtre ou depuis le miroir mais elle ne le fait pas, sous la fenêtre, un radiateur, sur le radiateur, une serviette éponge sèche, à gauche de la fenêtre un bureau, dessus, un capharnaüm, papiers administratifs, post-it, papier brouillon, clés, magazines, journaux, boîtes de gâteaux vides, rouleaux de papier toilettes, bouteilles d’eau vides et pleines, statuettes en plastique, peluches, sac à dos posé sur le tout, au centre du quatrième mur, une porte toujours ouverte sur un couloir, à gauche de la porte un porte-manteau sans manteau, une paire de Stan Smith, un sac de sport, quelques fringues sales posées en tas dans le coin, et on revient au miroir d’où elle regarde son corps tordu dans le lit au sommier métallique, sous le lit, ça ne se voyait pas au premier regard, il y a à côté du Glissant une brosse pleine de cheveux bruns emmêlés, sur la taie d’oreiller quelques taches humides, en regardant mieux, on verrait des larmes couler de dessous les paupières fermées
Merci, Philippe, il est magnifique ton texte, je l’ai relu trois fois, et plein d’images de situations de détail qui disent beaucoup et sans fin
Merci Simone
grâce à toi, je l’ai relu en tentant de le voir autrement
j’avais l’impression de ne pas avoir mis beaucoup de détails mais il y en a, c’est vrai
… tout en demi-teinte et pourtant très clair… on voit et on perçoit. Merci.
l’armoire contredit la table de nuit qui s’est révélée petite juste au moment où me disais qu’elle devait être grande pour porter tout ça…
Je suis curieuse du titre du Glissant
et si c’était toi qui le donnait?