#anthologie #02 | ce serait le souvenir d’un salon

Ce serait venir de la zone nuit, du couloir des chambres, pousser la porte à demi-fermée, pénétrer dans l’espace bleu, négliger pour le moment la lumière pénétrant en biais dans le long rectangle depuis la façade vitrée ouvrant sur le balcon et la Seine, laissant dans l’ombre la silhouette debout à l’angle contre les plis de reps d’un des rideaux bleu Nattier, tirés pour laisser place au jour de printemps filtrant à travers le voilage.

Ce serait longer la paroi peinte d’un  bleu doux assez pâle.

Ce serait en dépassant la table ronde de chêne blond entre paroi et vitres, une vitrine.

Ce serait plutôt qu’une vitrine un meuble de style Louis XV dont le haut des deux portes serait vitré… un meuble peint en blanc avec des liserés bleus.

Ce serait sur les trois tablettes  visibles des assiettes de faïence hétéroclites et des plats longs en argent ou étain.

Ce serait continuer le long de la paroi bleue jusqu’au trou… au trou ou renfoncement ou interruption s’élargissant pour former l’entrée de l’appartement.

Ce serait après le trou ou renfoncement dépasser de quelques pas le long canapé perpendiculaire… le long canapé formant barrière virtuelle entre les deux zones.

Ce serait rencontrer une bibliothèque basse de bois blond aux colonnes encadrant des vitres, sous un portrait.

Ce serait sur la tablette supérieure un livre s’ouvrant en accordéon orné de portraits de sages chinois.

Ce serait également une lampe à l’abat jour tendu d’un tissu céladon doublé d’un carton argenté monté sur un chandelier en étain et de petites boites en matériaux divers.

Ce serait, pendu au dessus de la bibliothèque, le grand rectangle d’un de ces cadres ornant les appartements bourgeois du dix-neuvième siècle.

Le grand rectangle de bois doré orné de petits reliefs où s’insérerait dans un ovale un portrait de femme… un portrait de femme au visage impassible, un peu incliné, un peu ingrat d’être si sérieux.

Ce serait passer entre la bibliothèque et deux fauteuils médaillons recouverts d’un imprimé à grandes fleurs d’un brun roux et doré sur fond bleu parsemé d’un pointillé blanc argent.

Ce serait entre les deux fauteuils une table rectangulaire, étroite, sur de hauts pieds raides de bois foncé, portant une coupe avec des oeufs en pierre et un vase vide en faïence blanche.

Ce serait en continuant un grand et haut secrétaire Louis XVI en biais laissant un petit espace entrer lui et le mur de fond,  ouvert sur ses casiers et étagères, surmonté d’un grand vase chinois bleu et blanc monté en lampe.

Ce serait près de l’autre angle, en avant du mur bleu et de la première grande vitre coulissant devant le balcon, un lampadaire de bois foncé sans caractère.

Ce serait à une courte distance de cette source de lumière un grand fauteuil à haut dossier couvert d’un lainage moucheté gris et blanc.

Ce serait après le premier double vitrage coulissant sur le balcon un petit panneau de mur, peint du même bleu que celui qui lui fait face au delà d’une table basse jonchée de journaux, d’un grand livre de table de salon et d’une étoffe roulée en boule.

Ce serait quelques pas plus loin devant la suite des vitrages reprenant sans autre interruption après les doubles rideaux bleus tirés,  un petit fauteuil crapaud recouvert d’un velours gris à côté d’une table rognon Louis XVI aux longues jambes cambrées sur laquelle sont posés un carnet de bal en argent et ivoire et un cendrier d’argent orné du blason d’un bateau.

Ce dirait après la reprise du voilage qui a été tiré en partie pour libérer une ouverture vers le balcon, retrouver, appuyée aux rideaux bleus, se découpant sur le daim teint en bleu roi foncé qui tapisse la cloison par laquelle on est entré, la silhouette entrevue en arrivant au moment où elle sourit.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

7 commentaires à propos de “#anthologie #02 | ce serait le souvenir d’un salon”

Laisser un commentaire