#anthologie #01 | Lyon 03

Lyon 03. Prononcer Lyon zéro trois. Arriver au bureau de poste de Lyon 03 à 5h30. Attacher mon vélo à la rambarde de l’escalier en colimaçon descendant au parking des agents motorisés. Me diriger non vers l’entrée principale, étant aussi quai de déchargement pour les camions postaux, mais vers la porte de service à l’autre extrémité. Longer le quai éclairé au néon, encombré de structures métalliques vides où insérer plus tard des bacs de courrier. Saluer les collègues, toujours les mêmes, plus ou moins nombreux, buvant cafés, fumant cigarettes. Deviner à leurs visages, concentrés ou détendus, deviner à leurs gestes, rapides ou lents, deviner la quantité de boulot. Taxer une cigarette, ayant arrêté de fumer. Se faire offrir un café, n’ayant jamais de monnaie. Prendre le temps, ou non. Faire dépendre le temps à prendre de la quantité de travail à envisager. S’asseoir sur une palette, sur une chaise de bureau défoncée, par terre par temps clément. Rester debout. Dépendre aussi du froid, de la pluie, du vent. Plaisanter souvent. Falloir y aller. Prendre un peu d’avance avant le tri général de 6 heures. Composer un code sur un boitier et pousser la lourde porte métallique et probablement blindée. Confirmer les premières impressions. Allées encombrées, agitation, les gars des colis tirant la gueule : grosse journée. Odeur de javel, de café, de poussière. Entendre gueuler dans tous les sens. Vérifier l’emplacement de mon vélo. S’attendre à le voir poussé tout au fond par les derniers arrivés, la veille. Le positionner au besoin afin de ne pas se retrouver coincé au moment de partir en tournée. Dans les sacoches arrière, vérifier. Retrouver les rebuts oubliés de la veille. Monter au premier étage. Prêter attention aux brûlures de cigarettes sur le revêtement des marches d’escalier. Jeter un œil aux mégots à jamais coincés dans les renfoncements des rambardes de sécurité. Penser aux temps d’avant l’interdiction de fumer. Le temps d’avant les restructurations. Le temps d’avant le management. Le temps du courrier abondant. Pas trop connu ce temps-là. Arriver dans une grande salle occupée par les casiers de tri. Se rendre directement à son loft. Nommer son secteur ainsi suite à une restructuration. Finies les longues lignes de casiers tous les uns à la suite des autres ! Maintenant, entrer dans des rectangles de cinq ou six casiers refermés sur eux-mêmes. Des lofts donc, rapport à la téléréalité du moment. Saluer ses collègues de secteur dont le facteur de secteur, un peu le chef du loft. Comprendre à son sourire crispé, quoi ? Une montagne de caissettes à couper, une régie en recommandés, la réclamation d’un client mécontent ? Le regarder dans les yeux et penser au nouveau mot utilisé hier par ton chef d’équipe lors de ton entretien d’évaluation. Leader. Être ou ne pas être un leader ? Importance de la question pour évoluer, faire face à la chute du courrier, ne pas s’encrouter sur sa tournée, être proactif, atteindre des objectifs, devenir une référence pour les autres. Mais n’attendre qu’une chose. Partir. Partir en tournée.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).