Lyon 03. Prononcer Lyon zéro trois. Arriver au bureau de poste de Lyon 03 à 5h30. Attacher mon vélo à la rambarde de l’escalier en colimaçon descendant au parking des agents motorisés. Me diriger non vers l’entrée principale, étant aussi quai de déchargement pour les camions postaux, mais vers la porte de service à l’autre extrémité. Longer le quai éclairé au néon, encombré de structures métalliques vides où insérer plus tard des bacs de courrier. Saluer les collègues, toujours les mêmes, plus ou moins nombreux, buvant cafés, fumant cigarettes. Deviner à leurs visages, concentrés ou détendus, deviner à leurs gestes, rapides ou lents, deviner la quantité de boulot. Taxer une cigarette, ayant arrêté de fumer. Se faire offrir un café, n’ayant jamais de monnaie. Prendre le temps, ou non. Faire dépendre le temps à prendre de la quantité de travail à envisager. S’asseoir sur une palette, sur une chaise de bureau défoncée, par terre par temps clément. Rester debout. Dépendre aussi du froid, de la pluie, du vent. Plaisanter souvent. Falloir y aller. Prendre un peu d’avance avant le tri général de 6 heures. Composer un code sur un boitier et pousser la lourde porte métallique et probablement blindée. Confirmer les premières impressions. Allées encombrées, agitation, les gars des colis tirant la gueule : grosse journée. Odeur de javel, de café, de poussière. Entendre gueuler dans tous les sens. Vérifier l’emplacement de mon vélo. S’attendre à le voir poussé tout au fond par les derniers arrivés, la veille. Le positionner au besoin afin de ne pas se retrouver coincé au moment de partir en tournée. Dans les sacoches arrière, vérifier. Retrouver les rebuts oubliés de la veille. Monter au premier étage. Prêter attention aux brûlures de cigarettes sur le revêtement des marches d’escalier. Jeter un œil aux mégots à jamais coincés dans les renfoncements des rambardes de sécurité. Penser aux temps d’avant l’interdiction de fumer. Le temps d’avant les restructurations. Le temps d’avant le management. Le temps du courrier abondant. Pas trop connu ce temps-là. Arriver dans une grande salle occupée par les casiers de tri. Se rendre directement à son loft. Nommer son secteur ainsi suite à une restructuration. Finies les longues lignes de casiers tous les uns à la suite des autres ! Maintenant, entrer dans des rectangles de cinq ou six casiers refermés sur eux-mêmes. Des lofts donc, rapport à la téléréalité du moment. Saluer ses collègues de secteur dont le facteur de secteur, un peu le chef du loft. Comprendre à son sourire crispé, quoi ? Une montagne de caissettes à couper, une régie en recommandés, la réclamation d’un client mécontent ? Le regarder dans les yeux et penser au nouveau mot utilisé hier par ton chef d’équipe lors de ton entretien d’évaluation. Leader. Être ou ne pas être un leader ? Importance de la question pour évoluer, faire face à la chute du courrier, ne pas s’encrouter sur sa tournée, être proactif, atteindre des objectifs, devenir une référence pour les autres. Mais n’attendre qu’une chose. Partir. Partir en tournée.