#anthologie #01 | les matins

Avant huit heures de préférence. Déboucher dans la rue F., enfin. Laisser derrière les files de voitures, les camions de livraison arrêtés n’importe où, les feux toujours rouges, parfois clignotants oranges les jours de grand bazar. Passer devant les maisons et jardins semblant résister dans ce quartier de banlieue entre les immeubles réhabilités façades bois écologiques. Au printemps croiser le vieil homme au sécateur en conversation avec ses rosiers, le saluer. Maudire l’arrêt au passage protégé mais sourire au troupeau d’enfants traversant devant le bras de l’agente. Chercher dans le sac la télécommande, la laisser tomber sous le siège, se contorsionner pour la récupérer sans lâcher la rue des yeux, ralentir à l’approche du numéro sept, appuyer sur le bouton, me réjouir de voir la lumière clignoter haut sur la grille, jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, me réjouir d’obliger la camionnette qui me suit trop vite et trop près depuis le haut de la rue à s’arrêter, me réjouir de voir les grilles s’écarter dans un lent battement, très lent, sursauter en entendant l’avertisseur du bus bloqué derrière la camionnette dans cette rue à sens unique, caler d’émotion, redémarrer, rouler au ralenti dans la cour, traces de mes roues dans les graviers, me garer sous le cèdre, en marche arrière pour repartir sans manœuvre ce soir. Arrêter le moteur. Avant de couper le contact, écouter la fin de la chanson, la fin des informations, la fin du podcast, profiter jusqu’au bout de ma bulle. Retirer la clé. Sortir de la voiture et en faire le tour pour prendre par l’autre portière le sac à main, la boîte du repas de midi, le bouquet de menthe que j’ai promis. (Parfois prendre dans le coffre les boutures de framboisiers que le jardinier ami replantera dans le jardin de l’association, depuis cinq ans ont-elles fructifié ?). Traverser la cour jusqu’à la porte d’entrée en marchant sur les dalles, respirer l’herbe, sentir la pluie ou les troènes. Appuyer sur la poignée. Porte fermée, première arrivée, grimper les trois étages de l’escalier jusqu’à la cuisine, préparer le café, redescendre d’un étage, entrer dans mon bureau, ouvrir la fenêtre, regarder le jardin. Porte ouverte, apprécier le café déjà prêt, le moment avec le jardinier ami.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

4 commentaires à propos de “#anthologie #01 | les matins”

  1. J’aime comment on ressent la présence du vivant si précieux au coeur de la ville. On suit ce parcours avec vous, alternance de notations sur les espace traversés et les pensées de celle qui raconte. Jusqu’à l’ouverture de la fenêtre et le café avec le jardinier ami. Un beau personnage celui-là !

  2. …y’a quelque chose qui m’gratouille ou qui m’chatouille, faudrait je relise, faudrait j’ai un peu de temps pour y penser. Y’a un truc qui m’gêne, pour sûr. Et quand y’a pas de gêne/gène/geine…