#anthologie #01 | jeudi matin

Jeudi matin | 3ème jour d’épreuve

Trouver une place le long du lycée dans la rue en cascade qui se jette sur le front de mer. Végétation qui sourd et pousse et crève jusqu’à dégringoler parfois en panache, à la faveur d’une fissure à même le mur. S’en étonner toujours. Se promettre encore une fois de prendre le temps de photographier. Descendre dans l’ombre du petit matin le peu de rue restante les épaules chargées de sacs. Bifurquer à gauche. Coup d’œil machinal sur le snack du lycée désert pour le moment. Lycée en apnée. Aimer ces temps suspendus qui mettent en berne la routine. Lever la tête, regarder le ciel et se dire qu’on s’est fait avoir : pluie sur les hauteurs mais soleil matinal au bord de la mer. Regretter le jean et les chaussures en cuir fermées. Marcher du pas lent des épaules chargées sur le pavé irrégulier qui mène aux marches d’entrée. Accrocher du regard un élève déposé juste devant ces mêmes marches montées quatre à quatre pendant que les mains enfilent le badge réglementaire. Se demander quelle épreuve il va passer ce matin dans le labyrinthe des spécialités. Monter les grandes marches d’entrée en diagonale sans vraiment se rendre compte. Sourire à la pensée que. Laisser la loge sur la gauche et sa grande double porte de bois blanc, fermée depuis plusieurs semaines, après une agression à l’arme blanche devant le lycée. Regretter cet espace. Les casiers et le vaste et haut comptoir tout de bois où consigner sur un registre les arrivées et les sorties des « visiteurs », le retrait des clés. Le chat nonchalant. Les hautes fenêtres. L’atmosphère tamisée ni trop d’ombre ni trop de lumière. Le sourire de Gina et de France-Lise. Une sorte de sas réconfortant. Ne pas regretter en revanche la cloison de protection en plexiglas érigée depuis le covid, défigurant le comptoir en bois, empêchant barrant entravant malgré la transparence. Se protéger du coronavirus. Se protéger des agressions extérieures. Sacrifier des espaces de convivialité et de rencontre sur l’autel de la sécurité. Se dire ça et s’en agacer, en pensées furtives, chaque fois, en passant. Ou en se heurtant quand machinalement, à la sortie des marches, la pensée en errance, on prend aussitôt à gauche pour s’apprêter à pousser la lourde porte de bois blanc. Fermée. Franchir donc à défaut l’immense portail en fer forgé noir grand ouvert sur les épreuves écrites du baccalauréat général et technologique. Saluer les agents techniques, l’agent de sécurité et France-Lise assise sur le petit muret, en grande conversation sous la galerie qui longe à l’intérieur la loge et les ateliers. Ne pas croiser le jardinier ce matin, son sourire et son visage lumineux.  Se diriger vers le bâtiment administratif sur la droite. Pavés irréguliers. Trois marches. Saluer quelques collègues, le proviseur et attendre la répartition des salles. Salle 95. Signature. Repartir avec les sacs, les épaules et les pas. Remonter donc pour finir tout en haut du lycée. Traverser la cour des manguiers et laisser les deux étages en fer à cheval qui l’entourent et où s’agglutinent quelques élèves en attendant de pouvoir s’installer dans les salles. Laisser le bâtiment réservé à la vie scolaire sur la gauche et les rumeurs des voix. Remonter une première volée de marches. Laisser sur la gauche la MDL et le réfectoire, tous déserts. Monter de petites volées de marches en petites volées de marches le long du terrain de sport et bifurquer à droite avant la piste de course qui longe horizontalement le mur du lycée. Salle 93. Salle 94. Salle 95. Grappes d’élèves. Tables individuelles. Quatorze élèves de Terminale STMG. Epreuve de droit / économie. Convocation. Pièces d’identité. Pas de trousses sur les tables. Distribution des brouillons, alternance de vert et de bleu. Distribution des copies. Consignes pour remplir les en-têtes. Distribution des sujets. Attente de la sonnerie de début d’épreuve. Grand silence. Une absente : une candidate individuelle. Née en 1998. La sonnerie retentit. Début de l’épreuve. Arrivée sur le fil, juste après l’ouverture des sujets, de la candidate individuelle. Elle a huit ans de plus que les autres candidats. Il n’en parait rien. Se demander. Son parcours. Son histoire.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

4 commentaires à propos de “#anthologie #01 | jeudi matin”

  1. « ces temps suspendus qui mettent en berne la routine » C’est ce qui pourrait me manquer et c’est bien dit. Lire et s’énerver déjà sur ce constat « Sacrifier des espaces de convivialité et de rencontre sur l’autel de la sécurité. Se dire ça et s’en agacer, en pensées furtives, chaque fois, en passant. » Me dire je ne suis pas la seule. Merci Emilie !

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