#anthologie #01 | Repérages

Choisir un périmètre. L’explorer sous toutes les coutures en repérant les espaces de jeu. Marcher, marcher beaucoup, avoir mal aux genoux, faire des hypothèses. Ne connaître de la ville qu’un fragment mais à fond. Anticiper le spectacle en déambulation en visualisant le public : deux cents, trois cents, quatre cents personnes ? Où les installer ? Par où les faire passer ? Sur la place de l’église ne pas oublier de soustraire la terrasse à venir du bistrot cet été avec ses deux rangées de tables multipliées par quatre. Imaginer l’avancée de la foule sous les allées de platanes, dans les rues bordées d’immeubles ou la zone commerciale avec ses présentoirs grignotant les trottoirs. Se représenter le public traversant un parking sans voitures. Pour les comédiens cartographier les murets, bancs, lampadaires, plots ou tout mobilier urbain à escalader pour émerger, se donner à voir dans le compact de la foule. Additionner les nons : non pas de marches, non pas de pavés, pas de dénivelés, pas d’angles droits, non pas de tramway, pas de quatre voies derrière la bute en terre. Dénicher quelques ouis. S’arrêter tête en l’air. Réfléchir. Sentir le vent. Écouter la ville. Estimer les distances. Douter. Abandonner. Revenir en arrière. Reprendre. Choisir d’abord l’espace d’arrivée : un écrin avec un mur de fond pour faire sonner les voix. Dos au mur, taper dans les mains pour éprouver la qualité de diffusion du son. Interroger l’espace des yeux. Le mesurer en marchant : un pas = un mètre, trouver dix-huit mètres d’ouverture sur douze mètres de profondeur. Marcher en allongeant la jambe pour vérifier les calculs sans ménager les genoux. Dégainer la boussole, interroger le ciel. À quelle place le soleil selon l’horaire de jeu ? Supposer les ombres à venir. Croiser toutes les observations pour valider l’espace final de la représentation avec ses quarante minutes de spectacle où tout converge. Définir l’orientation. A l’aide d’une bombe de craie imaginaire tracer la ligne de démarcation entre artistes et public. Voilà. A partir de là chercher un point de départ dans un rayon d’environ cent mètres = cent pas. Marcher. Revenir, genoux douloureux. Dégoter un croisement, une placette, un bout de parc, une esplanade. Quelque chose de suffisant. Imaginer les artistes dans cet espace. Quelles adaptations dans les placements et déplacements ? Confirmer mentalement ce point de départ. S’asseoir par terre. Rêver le spectacle dans ces lieux. Quelles perspectives pour le public : la chaîne des Pyrénées ? Le front de mer ? la façade du musée Magritte ? La haie de peupliers ? La cour de l’école avec son toboggan ou son préau vitré ? Se remettre en route en serrant les dents. Tenter d’alléger le poids sur les genoux. Re parcourir le chemin du départ à l’arrivée. Prendre des photos, des notes pour ne rien oublier. Envoyer le compte-rendu avec plan à l’organisateur en demandant les arrêtés de circulation et/ou de stationnement. Et toujours stresser de s’être peut-être trompée de lieu, d’espace, de parcours. Partir vers ailleurs pour un autre repérage. Une ville aux murs gris ? ou blancs ? ou roses ? Une ZUP ? Un village au milieu des collines ? Définir un périmètre. L’explorer. 

A propos de Françoise Guillaumond

Ecrivain, directrice artistique de la compagnie La baleine-cargo sur Wikipedia, ou directement sur la baleine cargo.

8 commentaires à propos de “#anthologie #01 | Repérages”

  1. C’est fou, quelle précision, un travail physique, visuel d’exploitation du lieu,
    d’anticipation, de perpective .On y est, là parmi les spectatcteurs… ce travail de l’avant spectacle et quelle réussite ! on voudrait voir l’après: le spe- cta- cle! merci !

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