#anthologie #01 | attendre

Un lieu, la salle d’attente. Deux espaces – l’espace physique et l’espace mental.

Espace physique

Attendre.

Attendre dans une salle d’attente à l’hôpital, à l’hôtel de ville, dans le hall d’une gare, dans un couloir, un bureau, une cabine téléphonique, aux grilles d’une école, au passage pour piétons – déplacement, intrusion de salles d’attente éphémères dans des endroits qui n’y sont initialement pas dédiés.

Attendre une assistante sociale, un oncologue, qu’on nous appelle par notre prénom, notre numéro de ticket, notre statut social – qu’on ne nous appelle plus –, que le temps accélère, décélère, l’imprévu, la douleur, l’innommable.

On peut aussi dire attendre son tour à la caisse d’un supermarché, au distributeur de billets, au photomaton, à l’entrée d’une salle de concert, au self-service d’un restaurant. La file d’attente devient alors mur, vague, marginale, brèches, pays.

On peut aussi dire attendre chez soi le plombier, le livreur, une visite, une décision de justice. On laisse entrer chez soi quelqu’un d’autre, quelque chose apporté, rédigé, confectionné, ordonné, délégué, abandonné par quelqu’un d’autre. La maison devient-elle alors espace public ?

S’occuper.

Abîmer les coins d’un document, agiter les jambes – si jupe ou short, sentir l’air frais les frôler –, regarder par la fenêtre – y a-t-il des arbres ou seulement du béton, une éolienne au loin peut-être, la vue sur l’intérieur d’une chambre, d’un garage –, jouer au Tetris sur son smartphone, déranger l’employé à l’accueil, calmer un enfant – berceuse, coloriage, menaces, gifle –, faire les cent pas, entamer une conversation banale avec son voisin – « Ça fait longtemps que vous attendez ? », « Quel temps ! », « Joli votre chemisier, vous l’avez acheté où ? », « Vous avez-vu ce qu’il se passe en Palestine ? ».

Mélanger – Combiner – Esquiver.

Les langues – surtout le français, l’anglais, l’arabe, passe-partout -, les soupirs, les rires, les bruits d’un distributeur de friandises, l’hésitation d’une ampoule avant de s’éteindre, l’impatience, les odeurs qui s’échappent d’une porte, d’une fenêtre qui s’ouvre, se referme – celle de la soupe au cerfeuil, de l’urine, de l’herbe tondue un jour d’été, du renfermé.

Parfois, le silence fait basculer ce désordre, mais à l’intérieur, rien d’anodin : un secret, un tourment, des souvenirs s’éveillent, se réveillent. On passe alors dans l’espace mental, autre salle d’attente – double jeu.

Espace mental

Attendre.

Attendre la mémoire – qu’elle revienne, s’en aille pour de bon –, une solution à un conflit – « Et puis zut, va que je te les donne les derniers timbres collectors du roi ! » –, de souffler juste un peu, la fin d’un deuil – celui qui pousse encore à remplir d’essence le réservoir de la tondeuse, à sortir la nappe aux motifs africains des grandes occasions et à préparer les langoustes qu’il aimait tant manger après avoir tondu la pelouse et quelques fleurs au passage en le niant, celui qui pousse encore à vociférer en passant en voiture devant l’usine qui a licencié trois cent ouvriers, délocalisation on nous a dit, pertes financières importantes, on ne sait plus, tu parles ! –, d’avoir juste un peu d’audace, le je t’aime d’une sœur, le merci d’un voisin qu’on a dépanné en lui achetant ses Panadol parce que malade, il ne pouvait pas se déplacer.

S’occuper.

Supposer, interpréter, inventer, laisser tourner en boucle les mêmes pensées en attendant que quelque chose éclate – un corps peut-être, une saison –, réécrire l’histoire, ne faire que courir, ne jamais s’essouffler, ne jamais tomber.

Mélanger – Combiner – Esquiver.

Des personnages proches ou imaginaires, des tiroirs – scellés ou ouverts, avec des photos sans visages, des lettres écrites dans une langue sans frontières, des billes qui roulent lorsqu’on ouvre, ferme ces tiroirs, font un bruit qui rassure –, des portes entrouvertes pour laisser passer, s’échapper ceux qui le souhaitent, un ciel – ni bleu ni gris, et surtout des lignes, beaucoup de lignes d’avions, d’oiseaux qui passent et beaucoup de lignes pour que chacun puisse choisir sa propre direction, et de la pluie parce que non, la pluie ce n’est pas moche.

A propos de Annick Brabant

Revenir à l'écriture, nouveau chapitre, tenir, le vouloir si fort, tiendra !

10 commentaires à propos de “#anthologie #01 | attendre”

  1. Merci pour la lecture François.
    Long moment d’écriture aujourd’hui.
    Et ce qui revient, insiste, résiste – consciemment ? inconsciemment ? – comme leitmotiv, et ce que ça dit, dessine.
    En tout cas, je me plais bien à écrire dans ce cycle.

  2. J’aime beaucoup cette double salle d’attente, espace physique / espace mental, beaucoup d’images et de sensations naissent à la lecture de votre texte… être là tout en n’étant pas là et vice versa… et aussi quelque chose de poignant (que je ne saurais analyser). Merci pour ce beau texte

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