Ouvrir la porte, sentir d’abord le dégoût au contact de la main sur la poignée, l’impression en la tournant qu’une sorte de saleté traverse la peau, les doigts se frottant l’un l’autre pour effriter une sorte de, ne pas savoir, juste sentir, peut être rien, se frotter les doigts quand même pour s’en débarrasser mais trop tard. Surtout retarder le moment du corps entrant dans la pièce, retarder ce moment car après, après la poignée sentir les regards ou les imaginer, ce qui est pire. Vouloir disparaître, devenir effluve et puis plus. Suspendre son souffle comme un corps à une corde. Devenir un corps flottant, sans yeux ni oreilles ni nez, ni organes, se mouvant sans vouloir, se déplaçant sous les regards, le cerveau les imaginant les regards. Le corps traversant maintenant, avancer, traverser, vite, rester impossiblement inaperçue, le souhaiter. Avoir la boule au ventre, comprendre l’expression, ressentant l’envie de vomir peut-être, sentir un fluide refluant dans l’arrière gorge, ravaler. Ne pas ralentir, ne pas trébucher, regarder devant, l’autre porte où aller, traverser les regards comme une haie d’horreur en tremblant à l’intérieur, en apnée presque, se forcer à souffler, ne rien montrer, tout va bien. Serrer la bride de son sac, se rassurer par ce contact, la main se serrant, tirant sur la bride, coller le sac contre l’épaule comme un pavois, bomber le torse, saluer d’un bonjour faible comme un arbre dans un ouragan. Avancer encore, se cogner la hanche contre un bureau de s’être trop écartée d’un autre. Sentir la douleur du coup, penser aïe, contrôler la grimace venant, pinçant les lèvres, plissant le front malgré soi, tenir le sac encore plus serré, de l’autre main, tenir son téléphone, impossible d’avoir le bras ballant, occuper ses pensées, ses mains, ne pas penser à demain ni à rien, se forcer à, arriver à la porte, on n’est que le matin, les heures vont s’enchaîner, s’étirer, en attendant, tout faire pour ne rien montrer de ce qui se passe en dedans.
A reculons, à la dégoûtée, et cette boule. On imagine bien le calvaire. Qui n’a pas connu au moins une fois ce genre de situation est bien chanceux.
content de voir que le texte produit quelque chose
merci Perle pour ce retour
Texte sous tension. On le lit de phrase en phrase. C’est comme si ça durait des heures alors que la traversée ne dure probablement que quelques minutes. Intéressant. Merci.
ça peut durer des heures, tout dépend de quel point de vue on se place en effet Annick
ai tout ressenti et me suis cogné la hanche une fois de plus
Brigitte, j’espèe que la hanche n’est pas trop douloureuse
J’aime « saluer d’un bonjour faible comme un arbre dans un ouragan ». Je m’y connais en ouragans 🙂
l’image prend en effet une force différente selon l’expérience que l’on a des arbres ou des ouragans
je n’ai pas cette expérience du vent qui est la tienne mais j’ai pu saisir parfois la fragilité des arbres