#anthologie #00 | à l’aube


À l’aube.

J’ai été conçu.
J’ai été arque-bouté entre quatre jambes.
J’ai été catapulté dans un ventre pendant sept mois.
J’y ai bu à la source.
J’ai été à mon aise. J’ai été mal à l’aise. J’ai mordu la chair de ma mère dedans son ventre. J’ai joué avec ses nerfs. Je me suis emmêlé à ses veines. Je me suis moulé dans ses creux. Je me suis moulé dans ses pleins. J’ai poussé les parois fibreuses, élastiques et fermes. Je me suis cogné contre ces parois lisses, sans dessin. Je me suis cogné à l’obscurité de cette pénombre originelle. Je me suis accroché à la seule force des fluides.
Je me suis laisser porter.
J’y ai cru.

J’ai été conçu dans cette ville ce matin-là.
Je suis tombé.
Je me suis accroché.
J’ai été enfermé dans un corps étroit.
J’ai tiré l’oreille. J’ai écouté les plaintes de la mère à travers le placenta. Je me suis collé à ses muqueuses pour me faire une place. Je me suis collé à son âme. J’ai écouté les battements de son cœur. J’ai essayé d’y répondre avec régularité. Je me suis aligné à son rythme. J’ai suivi les consignes que son corps me dictait. J’ai mangé son repas. J’ai bu sa soif. J’ai touché sa peau intérieure avec le pli de mes yeux naissants. J’ai laissé mes yeux fermés sous les fines paupières. Je me suis mis à rêver le dehors. J’ai ausculté le dedans. J’ai senti le chaud et le froid. J’ai aimé le chaud. J’ai aimé la bouillante moiteur du sang. J’ai aimé l’électrique froideur des os. J’ai senti ma chair devenir et s’épaissir comme on s’épaissit avec le temps. C’est la consigne de la vie.

Je me suis sauvé, au petit matin d’un jour de septembre.
Je me suis enfui.
Je me suis échappé.
Je suis sorti de ce corps, l’œil ouvert.
Je ne me suis pas étouffé avec le cordon ombilical. J’ai mangé la lumière sans un cri. Je me suis laissé traverser et transpercer par les bruits.
Je me suis laisser porter à nouveau.
J’y ai cru.

J’ai atterri dans les bras de la sage-femme.
J’ai été secoué à maintes reprises.
J’ai retenu mon souffle, l’œil cataracte et la bouche fermée résolument.
J’ai enduré l’agitation alentour ; j’ai supporté les agacements nerveux ; j’ai continué à retenir la voix mienne enfermée dans le thorax là, bien au milieu de ce corps mien.
Je suis né en silence, le cheveu noir en guise d’annonce.

J’ai volé jusqu’à la table à langer.
J’ai respiré sans pleurer, le visage rouge, empourpré. Je n’ai pas joué le jeu. Je me suis laissé naître comme on arrive en exil. Je me suis laissé naitre comme on devient un exilé, sans vraiment comprendre le chemin parcouru. J’ai quitté la salle en vitesse sur un lit à roulettes, la mère hagarde dans son impuissance. J’ai parcouru des kilomètres et des kilomètres loin d’elle, sentant l’humanité tout entière me porter. J’ai cherché des yeux quelque chose. J’ai cherché des yeux son regard mais déjà le paysage s’était modifié. J’ai cherché des mains quelque chose à attraper, pour me sentir être au monde dans ce corps, nouveau. J’ai cherché quelque chose de tangible à quoi m’accrocher.

Puis j’ai cherché à comprendre…

J’ai osé demander
J’ai osé demander pourquoi, demander comment.
J’ai osé dire non.
J’ai osé parler la bouche pleine ; j’ai osé, la bouche pleine, demander, à l’homme derrière son bureau de me donner les papiers relatifs à ce jour-là.
J’ai osé, quelques décennies plus tard, faire le voyage vers ce petit bureau des administrations des naissances, pour appréhender cette boucle de la vie presqu’en son nœud résolu.
J’ai osé vouloir que cesse l’exil et la quête.
Je n’ai pas eu le temps d’ouvrir le dossier ; j’ai juste eu le temps de voir l’heure à l’horloge indiquant une heure quelconque de l’après-midi ; j’ai senti alors que déjà ma gorge se nouait, sans un bruit.
Je suis tombé au sol, le cœur en infarctus.

Je suis tombé.
J’ai ri en silence.

Je suis mort.






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