#antholgie #10 I le menusier

Il a vingt ans, son père est à l’hôpital, il espère sortir bientôt, il ne sortira jamais, eux ils le savent, ils en parlent le soir en buvant, tout le monde à l’alcool triste ces jours-ci.

Il a dix ans, la tête qui tourne, son père la resservi deux fois, il va vomir, ils les voient tous autour de lui, ils rient, sa mère, ses frères, ses oncles et tantes, tous ivres, ils rient de lui.

Il a vingt-trois ans, il a vu une annonce à Saint-Yrieix-la-Perche, il cherche un menuisier, il n’est pas menuisier, il n’a pas le permis, mais hier soir en les regardant tous endormis, il s’est dit qu’il devait partir, alors, il marche, 750 kilomètres de route départementale, il verra bien s’il fait l’affaire, il est adroit de ses mains.

Il a cinquante-huit ans, l’infirmière est de Metz, il a reconnu son accent, il voudrait qu’elle reste avec lui cette nuit, elle repassera dans une heure.

Il a quinze ans, l’école s’est finie, ses parents ne sont pas venus au rendez-vous du proviseur, ici , dans les mines, il n’est pas le seul à quitter l’école, à laquelle ça sert, lui a demandé son père, il ne savait pas quoi répondre.

Il a cinquante-cinq ans, il discute avec cette vendeuse de fruits et légumes à Saint-Yrieix-la-Perche, il lui raconte son histoire, il est seul, il ne connaît presque personne dans la région, mais il ne boit plus depuis trente ans, il a gagné cette bataille-là, lui il n’est pas un alcoolique comme les membres de sa famille. Il vient d’apprendre qu’il avait un cancer des poumons, il regarde la vendeuse et il lui dit : c’est drôle la vie, je n’ai jamais fumé, vous savez.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.