Il-1
Je regarde par la fenêtre le parking, cette vision familière m’est étrangère, sur cette surface goudronné où chaque habitant à sa place de parking et ou il y aussi quelques places pour les visiteurs, personne n’est chez lui, on est dehors, mais j’habite dans mon immeuble, cet immeuble à un hall, mon hall, j’habite dans mon appartement, touts ces espaces sont à moi, dans tous ces espaces je suis légitime, je suis à ma place, et cet espace étranger et familier que je vois tous les jours, c’est lui que j’observe en pensant au départ demain matin, ce parking est un ailleurs ordinaire ou je guette l’extraordinaire, demain ce sera different, ce sera une suite de première fois, ce long trajet, le sud méditerranéen, la traversée, l’air sera different, ce sera un monde étrangement étranger, exotique comme le zoo de Vincennes ou l’aquarium tropical, les parfums m’enivreront sûrement, les gens auront des accents d’ailleurs, leur vie me fera envie, la chaleur étouffante collera les vêtements, peut-être qu’il sera difficile de respirer, peut-être que le présent est tellement prenant à cet endroit du monde que le passé n’existe plus, que les gens de ces lieux vivent avec cet appétit qui manque tant ici, qu’ils ne connaissent pas ce frein, ce creux qui vous cloue au sol et qui pourtant est le centre de gravité de votre monde, j’espère être happé par leur monde, par ce monde sans absence, ce monde où rien n’est retenu, un monde passant d’un été à un autre été, encore et encore, un monde où la musique n’est faite que de tubes de l’été, ou les films ne sont que des comédies familiales, ou chaque jour est une récolte de moments joyeux qu’il faut cueillir avant qu’ils ne soient trop mûrs, un monde où à chaque endroit, j’aurai le sentiment d’être ici chez moi, un endroit où personne ne me connaitrait et où je connaitrais chaque individu.
Il-2
Je regarde par la fenêtre le parking au bas de l’immeuble, je regarde toujours dehors, chez nous il n’y a pas grand-chose, ici c’est une salle d’attente pour le départ, une fois par an, ce retour à l’autre chez nous, je ne sais pas pourquoi ils disent : chez nous, là-bas on est jamais chez nous, on est toujours chez quelqu’un d’autre, on est le visiteur que l’on reçoit par obligation, ce sera encore comme ça, j’imagine, dans cet endroit au soleil lourd, dans ces rues mal goudronnées, tout semble provisoire, rien n’est jamais fini, rien n’est fait pou durer, et pourtant on y revient pour y trouver des traces, retrouver la mémoire, dans ce pays la mémoire ne trouve pas assez de force pour laisser ses marques, le trajet se fera de nuit, l’arrêt aux stations nous permettra de nous détendre les jambes et de nous soulager, sur le parking de la station on croisera les regards d’exilés volontaires aux yeux hagards et cernés, la chaleur de la nuit nous préparera à notre destination, puis il ya aura l’attente sur le quai, la traversée, le débarquement, et ce sourire quand ils mettront le pied sur le sol de leur pays, je fais semblant d’être heureux, on fait tous semblant d’être heureux comme eux, c’est un cadeau que nous leur faisons, ce sourire il me ferait presque oublié les semaines qui suivront, ces semaines ou devant un monde ordinaire, ils souriront comme des enfants au cirque regardant un spectacle de magie, la magie a ses secrets, peut-être qu’il ne faut pas être un enfant pour les apprécier.
ailleurs prologue
Ailleurs, je suis un autre
Que le soleil d’Afrique me brûle
Que les femmes d’orient soient belles
Que le danger d’Amérique me frôle
Ailleurs, je suis autre
J’admire les moineaux multicolores de Namibie
Je trouve beaux les mendiants de New Delhi
J’envie le passant ordinaire du Stromboli
Ailleurs, je suis l’autre
Mes pas sont légers au Sahara
Mon âme est ouverte à Kinshasa
Mon cœur est fêlé à Hiroshima
Ailleurs, je suis autre
Je crois à tous les hommes
Je vois la beauté sous mes pieds
Je bois l’eau ordinaire
Ailleurs, je suis un autre
Je dévore les vipères du Congo
J’embrasse la joue des panthères de Guinée-Bissau
Je vole avec les coléoptères de Mexico
Ailleurs, je pourrais être un autre
Un criminel prêt à dégainer à Manchester
Un héros décidé au Caire
Un amant déchaîné à Madère
Ailleurs, je veux être un autre
J’espère l’accident à Pont-Aven
Je veux croiser le danger à Bagnolet
Je veux des histoires à raconter de Levallois-Perret
Ailleurs, j’aurais été un autre
Celui qui aurait pu, à New York
Celui qui s’est caché, à Dunkerque
Celui qui avait un secret, à Belfast
Ailleurs, je ne suis plus moi
« En chaque homme, il y a un flic, un juge, une victime et un criminel. »
Keizer Söze janvier 2023
Magnifique poême, Laurent;
Merci Simone
Keizer Söze, c’est donc toi le poéte ?
m’a fait penser à une chanson de Jacques Dutronc
ailleurs, on est plusieurs… bravo Laurent, tu nous emportes. fascinant.
J’aime beaucoup le déroulement du texte, sa rythmique.
aime aussi la balance entre les deux regards sur parking
Belle idée ce double regard sur le parking, d’ici, d’ailleurs.
Idem, le doublé du parking. C’est globalement doux, tendre. Je note en particulier « un endroit où personne ne me connaitrait et où je connaitrais chaque individu », beau.