L’abîme s’ouvre entre mes os. Immatériel, pesante comme une bouche qui se déverse sur un désert de sable noire dans lequel le ciel s’effondre. Sur le bord de l’abîme, j’attends. Je le sais là, tapit. Il grouille au fond, Il fourmille, Il attend, le cri. Il se ramasse, il amasse la substance gluante des rages putrides, devenues colle à force d’échouer à exister. Il collecte la boue durcie des vielles douleurs, celles qu’il a fallu contenir en contractant chaque fibre jusqu’à anesthésier la perception même d’être. Il attend, le cri, ramassé, agrippé à lui-même. Un hurlement déferlant qui attend depuis le début des jours du corps, une houle dangereuse qui patiente en grinçant des dents. La mâchoire se serre, se ferme de rage. Les larmes coulent, coulent de ce cri qui ne peut pas exister, qui n’a pas le droit de traverser la chaire des cordes. Resserré. Enfermé. Encerclé. Ça cogne dedans la déferlante. Ça cherche un chemin, un orifice, une ouverture, un vaisseau pour s’échapper. Rien. La houle broie le ventre, brasse les côtes, enferme le crâne. Le cri devient douleur et s’enroule dans mes os.